L’arche russe
Viktoriya et Patrice LAJOYE – Lutz BASSMANN Les littératures de l’imaginaire de la Russie soviétique sont à l’honneur. Avec un essai historique et un roman-hommage.
En raison de l’impact des blockbusters diffusés tous les mois sur nos écrans, on a tendance à croire que la SF est devenue un genre essentiellement anglo-saxon – même si l’Asie, avec ses mangas, n’est pas en reste. Il ne faudrait pas oublier que l’Europe (en premier lieu la France) continue de proposer nombre d’oeuvres passionnantes dans le domaine des littératures de l’imaginaire, et qu’elle en est l’un des berceaux. Un essai comme Etoiles rouges, riche en contenu, tombe ainsi à point et nous rappelle l’importance de la production venue de Russie – même si elle est restée, pour des raisons éditoriales et culturelles, assez confidentielle pour le lectorat occidental. Si le genre existait déjà au temps des tsars, Viktoriya et Patrice Lajoye démontrent qu’il a connu un premier essor avec la Révolution de 1917. Le pouvoir bolchevik cherchant à fonder une société plus juste et « un homme nouveau », la littérature fut amenée à « participer à l’effort collectif » , en proposant des oeuvres incitant « les masses à rêver [d’un] futur idéal » , à l’image des aventures martiennes d’Alexeï Tolstoï ou de L’Homme amphibie d’Alexandre Beliaev. Des années 1930 au milieu des années 1950, le diktat du « réalisme soviétique » va quelque peu mettre à mal le genre qui connaîtra un regain après la mort de Staline – l’ouvrage présente ainsi les liens entre la liberté de création et le pouvoir. Ivan Efremov et le très prolifique Gueorgui Gourevitch marquèrent de nombreux lecteurs avec leurs épopées spatiales, tout comme le couple Guenrikh Altov-Valentina Jouravleva et leur Ballade des étoiles. Mais c’est un autre duo qui symbolise le mieux la SF : les frères Arkadi et Boris Strougatski. Tous deux nous offrirent quelques chefs-d’oeuvre comme Il est difficile d’être un dieu, Pique-nique au bord du chemin ou L’Auberge de l’alpiniste mort.
Le traducteur français de ce dernier ouvrage n’est autre qu’Antoine Volodine (prix Médicis 2014 pour Terminus radieux). L’auteur français propose, à travers son oeuvre, une version très personnelle de cette production russe, sous le signe d’un nouveau genre : le « post-exotisme ». Il vient ainsi de faire paraître, sous le pseudonyme de Lutz Bassmann, l’étrange et fascinant Black Village. Trois individus, entre vie et mort, déambulent dans un décor ténébreux et chaotique où les règles traditionnelles du temps n’ont plus cours. Le récit est alors entrecoupé par « des interruptats » , brèves histoires qui se répondent (mais ne se concluent jamais par un point). Déroutante, drôle et poétique, cette nébuleuse narrative nous rappelle qu’une histoire se termine avant tout dans l’esprit de ceux qui la reçoivent… Baptiste Liger