Décadence: Fin de siècle
Un spectre – la décadence – hanterait-il les fins de siècle, vouées au « ciel bas et lourd [ pesant] comme un couvercle sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis » ? Nul doute, en tout cas, que ce spleen baudelairien aura saisi au tournant des XIXe et XXe siècles une large fraction des élites politiques et intellectuelles françaises.
En tant qu’historien spécialiste de la période, Michel Winock s’empare du thème et nous offre une stimulante analyse de sa déclinaison dans les domaines de la politique et de la littérature. Sur le plan politique, l’auteur rappelle que la IIIe République, en même temps qu’elle s’installe puis se consolide, nourrit des oppositions qui la contestent avec une rare violence. Le boulangisme la dénonce comme un régime faible et corrompu. L’Eglise catholique la condamne aux gémonies. L’antisémitisme et l’anti-maçonnisme désignent les coupables. Pour toutes les forces qui agitent ces « idées », la République – la Révolution française qu’elle prolonge, le Progrès et la Raison qu’elle professe – ne promet que de sulfureuses chimères débouchant sur le vide d’un monde sans Dieu. Et puis, en surplomb de ce registre proprement politique, il revient aux « gens de lettres » d’apporter leur contribution à ce lamento « décliniste » .
Michel Winock sort ainsi de la relative obscurité dans laquelle sont aujourd’hui tombés les écrivains qui font des « malheurs des temps » , en cette fin de siècle, leur fonds de commerce. C’est Léon Bloy et ses imprécations de catholique inclassable, c’est Maurice Barrès et ses langueurs égotistes, c’est encore Barbey d’Aurevilly ou J.K. Huysmans – dont nous donnons, en extrait, le beau chapitre qu’il lui consacre. Michel Winock n’esquisse qu’avec prudence la comparaison avec nos temps actuels. Et c’est aussi bien ainsi. Marc Riglet