Sans moi!
Il fallait bien que ça arrivât un jour, et que le potlatch, cet échange organisé du don et du contre-don mis à l’honneur par la pensée anthropologique depuis les fameux travaux de Marcel Mauss, serve à deux dessinateurs-scénaristes astucieux et catalans (c’est synonyme) pour nous plonger dans l’imaginaire torturé de Maximo Pérez. Notre héros est un détective, frappé d’un double handicap : c’est un hyper mnésique aggravé, et il vient de tomber amoureux de Claudia. Jusque-là, sa première particularité l’aidait plutôt dans ses enquêtes ; désormais c’est un fardeau insupportable depuis que la personne aimée lui a déclaré solennellement : « Les choses que tu possèdes finissent par te posséder. » Perdu et éperdu, Maximo entreprend alors de se déposséder, meilleur moyen d’enchaîner les catastrophes, sans réussir à conquérir Claudia.
Le scénario de Potlatch serait déjà en soi particulièrement jouissif, mais le plaisir du lecteur est ici redoublé par le ton général de l’album qui fait penser à un American Psycho sans la méchanceté de Bret Easton Ellis. Ce qui ne retire pas pour autant un gramme d’angoisse à cette histoire folle, où, par exemple, une « BMW R75 Sahara » et « neuf poêles Borboni Tris Febrero pour cuisson gaz-électriquevitro-céramique avec revêtement anti-adhésif » font partie des innombrables objets dont Maximo tente de se libérer. Mais il faut croire qu’un « potlatcheur » ne réussit jamais à se débarrasser de ses deux fourbis les plus lourds : soi-même et les autres. Brillant. P.O.