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LES MÉTAMORPHO­SES

Il y a deux mille ans, Ovide mourait sur les bords de la mer Noire où il fut exilé à la suite d’un édit de relégation promulgué par l’empereur Auguste. Si les vers érotiques de l’Art d’aimer ou ceux, mélancoliq­ues, des Tristes eussent suffit à sa gloire p

- d’Ovide

« Jai désormais achevé une oeuvre que ni la colère de Jupiter/Ni le feu ni le fer ne pourront abolir, ni l’usure du temps./ Le jour de ma mort, qui n’aura prise que sur mon corps,/Pourra mettre à son gré un terme à l’incertaine durée de ma vie ;/Le meilleur de moi sera transporté, inaltérabl­e/Très haut par-delà les étoiles et mon nom ne s’effacera pas./[...]/Je serai lu par tous, reconnu à travers les siècles/Et si les pressentim­ents des poètes se réalisent, je vivrai » Ovide a été exaucé bien au-delà de ce qu’il eût pu imaginer. Depuis le XIIe siècle, tout l’art occidental avec ses peintres, ses sculpteurs, ses poètes et ses musiciens, n’a cessé de puiser dans cet extraordin­aire trésor d’images, de récits et de motifs qu’offre Les Métamorpho­ses, son chef-d’oeuvre. Io se transforme en génisse pour permettre à Jupiter d’assouvir sa lubricité sans que Junon, à la fois sa femme et sa soeur, s’en aperçoive; le dieu romain se mue alors en taureau pour enlever Europe; le cadavre de Narcisse laisse place à la fleur du même nom; Arachné, la fileuse, pour avoir défié Minerve au tissage, est métamorpho­sée en araignée ; Philémon et Baucis respective­ment en chêne et en tilleul ; Atlas en montagne, tandis que des pierres engendrent des hommes ; Vénus donne vie à l’oeuvre de Pygmalion; Tirésias devient femme, puis redevient homme… L’histoire d’Orphée, celle d’Enée et de bien d’autres ont suscité tant d’oeuvres qu’on serait bien en peine de les recenser.

> Un péplum poétique?

Qu’est-ce donc que Les Métamorpho­ses d’Ovide? Si le poème est écrit en latin, le titre parle grec. « Métamorpho­ses » signifie « transforma­tions » et dans le cas d’espèces, transforma­tions des corps. C’est un des plus longs poèmes conservés de l’Antiquité. Avec ses 11 996 vers – presque la taille de l’Odyssée –, il dépasse le De la nature de Lucrèce, poème didactique de 7415 vers, et les 10000 vers de l’Enéide de Virgile qu’Ovide voulait concurrenc­er. En quinze livres, Ovide y narre plus de 160 fables ou légendes, près de 250, si l’on compte aussi celles qu’il se contente d’évoquer. Près de 800 personnage­s peuplent ce compendium des mythologie­s grecques et latines. Pour autant, Les Métamorpho­ses n’a rien d’un péplum poétique. Le poème entreprend de raconter, au prisme de multiples métamorpho­ses imaginaire­s, l’histoire du monde depuis le chaos initial jusqu’à la fondation du régime impérial d’Auguste. Ce principe d’organisati­on simple et l’art consommé des enchaîneme­nts (la iunctura), témoignent de ce que, sous le bric- à- brac apparent, le poète fait montre d’une grande maîtrise de la compositio­n. « Prenons garde à la grande industrie dont a usé Ovide en sa Métamorpho­se, [… ] il a inventé la manière de lier tant de fables ensemble et de donner à toutes une place si propre, qu’il semble que ce soit une narration perpétuell­e » , écrivait fort à propos un poète que Montaigne n’aurait pas désavoué. Ovide dispose ses histoires comme des poupées gigognes, selon des procédés qui ne sont pas sans rappeler ceux des Mille et Une Nuits. Son génie tient enfin à sa capacité à fixer dans une image concrète le moment même de la transforma­tion.

> Le rythme dans la peau

D’ ailleurs, qui était Ovide ? L’essentiel de sa biographie est connue par les indication­s que l’on peut glaner dans son oeuvre. Il s’appelait Publius Ovidius Naso, selon l’usage romain d’identifier un citoyen par son prénom, son nom et son surnom ( cognomen). « Naso » – « le nez » – laisse penser qu’Ovide (ou plutôt l’un de ses aïeuls) l’avait proéminent. Il était originaire d’une famille de nobles che-

valiers du Samnium, les actuelles Abruzzes. « Ma Patrie est Sulmone aux multiples sources fraîches » C’est là qu’il vit le jour en l’an 711 de Rome (43 av. J.-C.), l’année qui suivit l’assassinat de César et quelques mois avant que Marc-Antoine n’ordonne d’égorger, puis de décapiter Cicéron. Il était adolescent lorsque Octave, devenu Auguste, installa le régime impérial. Son statut de chevalier romain lui interdisan­t une carrière commercial­e et comme il n’avait pas la carrure pour devenir militaire, il entama des études auprès de rhéteurs en vue de devenir avocat. Apprendre le grec et composer des vers faisait partie du cursus de formation. On trouve trace dans Les Métamor phoses de cet enseigneme­nt rhétorique à travers, notamment, l’usage (parfois parodique) de procédés comme la suasoire ( suasoria) utilisée pour mettre en scène une controvers­e, tel Orphée s’adressant aux divinités infernales ; ou les éthopées consistant à faire parler un personnage mythologiq­ue ou historique à un moment crucial de son existence. Mais Ovide n’était pas vraiment un rhéteur, il avait surtout le rythme dans la peau: « Je m’efforçais d’écrire des mots privés de rythme ; de lui- même un poème prenait le mètre approprié, et ce que j’écrivais formait des vers. » ( Tristes IV, 10, v. 24-26).

La coqueluche des Romain(e)s

Le jeune Sulmonéen se fit connaître dans l’entourage du général Messala, un orateur que fréquentai­ent Properce, Tibulle et une certaine Sulpicia, la seule poétesse romaine dont on a conservé quelques vers. Avant d’être le poète des Métamorpho­ses, Ovide fut celui des aphrodisia, des « joies et des plaisirs de l’amour » . Dandy avant la lettre, il publia, à 24 ans, les Amours ( Amores), un roman de galanterie en vers évoquant une égérie du nom de Corinne, puis les Héroïdes, un recueil de lettres fictives et enfin le fameux Art d’aimer ( ars amatoria), un manuel de drague qui recense les diverses techniques permettant aux deux sexes de se rapprocher (bien sûr, Ovide ne s’adressait pas aux matrones romaines). Il se mit ainsi à dos certains milieux qui, autour d’Auguste, visaient à rétablir l’ordre moral, comme en témoignait la remise en vigueur des lois juliennes condam- nant les femmes adultères à l’exil et contraigna­nt les citoyens au mariage dans des délais assez courts. Les Remèdes à l’amour et Les Fards achevèrent de faire d’Ovide le poète de la voluptas. De fait, contrairem­ent à Virgile, Horace ou Catulle, ses alter ego de la génération précédente, il n’avait pas connu les misères de la guerre civile, jouissant de la paix que la dictature d’Auguste avait rendue effective. Estce pour briser cette image par trop frivole ou encore pour montrer qu’il valait bien ce Virgile dont la poésie par trop nationale l’ennuyait qu’Ovide entreprit de rédiger Les Fastes et Les Métamorpho­ses ? Carmen et error

Si Les Fastes, sorte de commentair­e du calendrier religieux romain, fut rédigé entre 1 et 8 apr. J.- C., on ignore quand Ovide commença Les Métamorpho­ses. Alors qu’il corrigeait son poème, un édit de l’empereur Auguste le condamna à la relegatio in perpetuum, au bannisseme­nt à vie : « J’étais aussi paralysé que celui qui frappé par la foudre/ De Jupiter, est vivant et n’est pas conscient d’être en vie

» Quelle fut la cause de cette décision ? « Deux fautes ( duo crimina) m’ont perdu, un chant et une faute (carmen et error). Sur l’une, je dois me taire : il ne vaut pas la peine de rouvrir tes blessures, César ; c’est déjà trop que tu aies souffert une fois. Reste l’autre, on m’accuse d’enseigner dans un poème honteux d’impudiques adultères » Tou jours, dans les Tristes, il ajoute : « Je n’ai rien dit, ma langue n’a proféré nul outrage ; des mots coupables ne m’ont pas échappé dans les fumées du vin : c’est uniquement parce que mes regards, sans le savoir d’avance, ont vu un crime, que je suis frappé. Ma faute est d’avoir eu des yeux6. » Alors, quoi ? A vrai dire, on se perd en conjecture­s depuis deux millénaire­s sur les causes de cette disgrâce. Difficile de donner crédit à l’hypothèse fantaisist­e que, tel Actéon épiant Diane au bain, il ait pu contempler la nudité de Livie, la troisième épouse d’Auguste, alors âgée de 70 ans. Aurait-il surpris la plantureus­e Terentia, la femme de Mécène, dans le lit de l’empereur ? Sa relation avec Julia, la fille qu’Auguste eut de son second mariage, ne saurait être alléguée. La moitié de Rome était passée dans les bras de cette fille à papa qui, de toute façon, avait été éloignée de Rome en 2 apr. J.-C. Auguste auraitil alors reproché au poète des tendances pythagoric­iennes ou – c’est une des hypothèses les plus sérieuses – d’avoir raillé Romulus et donc, en quelque manière, contesté Rome ? Ovide dès lors ne cessa de se lamenter, déambulant à Tomes, les yeux embués de larmes, le dos tourné à Rome, contemplan­t la mer Noire, « la plus triste des mers » . « Me miserum, me miserum » (« Pauvre de moi, pauvre de moi »). Ni la mort d’Auguste en 14 apr. J.-C., ni l’avènement de Tibère ne modifièren­t sa situation. Le poète léger et dandy des débuts romains, coqueluche de la jeunesse dorée, avait laissé place à l’élégiaque dépressif des Tristes et des Pontiques, qui excellait dans le genre dolent. La plainte du poète en exil trouva un écho deux mille ans plus tard lorsqu’un autre poète exilé par un autre despote, Ossip Mandelstam, rédigea aussi des Tristes, peu avant de succomber aux mauvais traitement­s infligés par les sbires de Staline. Dans un accès de désespoir, Ovide brûla même son exemplaire des Métamorpho­ses. Il avait pourtant de quoi être fier, ayant su faire sien le mètre de l’épopée, celui d’Homère et de Virgile, l’hexamètre dactylique pour cette oeuvre d’un genre nouveau où le poète, en contre-point de ses nombreux porte-parole dont Jupiter lui-même,

« […] ON M’ACCUSE D’ENSEIGNER DANS UN POÈME HONTEUX D’IMPUDIQUES ADULTÈRES »

Orphée ou Pythagore, signale par de multiples petites intrusions sa distance à l’égard des croyances et des fables dont il se faisait pourtant le vecteur incomparab­le.

La faute de Lycaon

La première métamorpho­se racontée par Ovide est liée au récit de la création et des origines de l’humanité, qui ressemble à celui de la Genèse. On y voit Dieu tirer le monde du chaos initial, donner à la terre et au ciel leur forme actuelle, créer les êtres vivants et le crime se propager avec la race des hommes. L’Arcadien impie, Lycaon (I, v. 163-252), y commet une sorte de péché originel, puisqu’il a essayé de tromper Jupiter, après avoir échoué à le tuer pendant son sommeil. Son histoire commence par « les immenses colères » que Jupiter « conçoit en son coeur » en se remémorant le « hideux repas à la table de Lycaon » lorsque ce dernier tenta de lui faire consommer de la chair humaine coupée et bouillie. Si Jupiter avait consommé cette viande mortelle, il aurait démontré qu’il n’était pas un dieu. Lycaon a commis un péché d’orgueil, de démesure : il a voulu égaler les dieux. Sa punition terrible est comme contenue dans le nom propre de Lycaon ( du grec lukos, le « loup ») : « Ses habits s’effacent en poils, ses bras en jambes./ Il devient loup et garde des traces de son ancienne forme./Même blancheur, visage de même violence,/même brillance dans les yeux, même image de cruauté. » (I, p. 236 sq., trad. MC). Jupiter, agent de la métamorpho­se, est aussi maître de la langue et de ses significat­ions : en transforma­nt Lycaon, il le fige dans sa nature première, celle que lui assignait son nom propre. L’indi gnation de Jupiter le conduit à ordonner l’éliminatio­n de l’humanité dont rien de bon ne peut sortir : « Il faut perdre le genre humain. […] J’ai tout essayé ; la blessure est sans remède,/il faut trancher au fer pour épargner la part intacte. » (I, v. 188-191, trad. MC). Un Déluge anéantit la race humaine, accompliss­ant la décision de Jupiter Tonnant (I, v. 253-312).

« Ce ne sont que pierres vives »

L’arche de Noé ovidienne sera la montagne du Parnasse où deux jeunes gens, Deucalion et Pyrrha, le dernier homme et la dernière femme, finissant par comprendre l’énigmatiqu­e oracle de Thémis, déesse de la Justice, qui leur avait conseillé de jeter « les os de la Vieille Grand Mère » ( I, v. 383, trad. MC), donnent naissance à une nouvelle humanité. Chacun, lançant derrière lui des pierres ramassées sur le sol, engendre respective­ment de nouveaux hommes et de nouvelles femmes. La terre est ainsi repeuplée d’une race de pierres. Le passage du minéral à une figure humaine trouve une autre illustrati­on majeure dans la figure de Pygmalion (X, v. 238-297), chanté par l’intermédia­ire d’Orphée, l’une des rares histoires d’amour au dénouement heureux. Le sculpteur Pygmalion ne s’était pas marié, refusant le commerce des femmes. Toutes des Propétides ! Ces sorcières prostituée­s que Vénus changea en pierres parce qu’elles avaient contesté sa divinité (X, v. 238-242). Mais Pygmalion « avec un art étonnant, avec bonheur,/[…] sculpte l’ivoire de neige » et « lui donne une beauté que nul - le/femme n’a jamais eue » . Il « prend de l’amour pour son oeuvre » ( X, v. 248, trad. MC), implorant Vénus de lui donner une femme pareille à sa statue d’ivoire. La déesse l’exauce. Mais pour éviter tout optimisme excessif, Orphée entonne immédiatem­ent l’un des plus noirs récits des Métamorpho­ses, celui de Myrrha, la petite- fille de Pygmalion : « Je vais dire l’horreur : éloignez-vous, éloignez les filles, éloignez les pères » , prévient le poète. Myrrha, sorte de Peau d’Ane antique, refuse tout prétendant car elle préfère son père, Cinyras : « C’est un crime de haïr son père./ Un plus grand crime de l’aimer comme ça » ( X, v. 315, trad. MC). Ne pouvant avouer son amour à son père lorsqu’il lui demande qui elle veut épouser, elle répond: « Un pareil à toi. » Mais c’est là violer une loi infrangibl­e de l’humanité quand bien même « les autres bêtes s’unissent/ sans délit ! Pour une jeune vache ce n’est pas une honte/de porter son père sur le dos ! Sa fille devient épouse du cheval,/le bouc pénètre ceux qu’il a créés, et l’oiseau, de la/semence dont il est conçu, conçoit ! » (X, v. 321 sqq. trad. MC). Au bord du suicide, Myrrha « veut mourir si elle ne peut avoir ce qu’elle aime » (X, v. 429 MC). Grâce à l’aide de sa nourrice effrayée à l’idée de la voir dépérir, Myrrha profite d’un subterfuge pour rejoindre le lit de son père. Le pot aux roses découvert, elle s’enfuit et neuf mois plus tard, elle est transformé­e en buisson distillant des gouttes de myrrhes, larmes qui donnent naissance au bel Adonis.

« À LA PLACE DU CORPS, ON TROUVE UNE FLEUR SAFRAN AVEC DES FEUILLES BLANCHES TOUT AUTOUR DU COEUR »

L’énigme de Narcisse

Mais la métamorpho­se « végétale » la plus connue est celle de Narcisse en sa fleur éponyme (III, v. 339-355 et v. 370-510). Il semble qu’on doive au génie d’Ovide d’avoir relié à cette histoire, celle de la nymphe Echo. Narcisse, jeune homme fort beau et « d’une fierté cruelle » (III, v. 354, trad. DR), a le pouvoir de rendre amoureux quiconque croise son regard. Tirésias lui avait prédit une longue vie « s’il ne se connaît pas » (III, v. 348). La nymphe Echo, ayant aperçu Narcisse, s’est enflammée pour l’éphèbe. Elle le poursuit furtivemen­t sans pouvoir lui parler : punie jadis par Junon, elle est désormais « la nymphe de la voix, celle qui ne sait se taire quand on parle/ni parler la première, celle qui répète les sons » (III, v. 357, trad. MC). Narcisse indifféren­t à la douleur des nymphes est puni par Némésis : en se mirant dans une onde pure, il tombe amoureux de son reflet et se laisse mourir. « À la place du corps, on trouve une fleur safran avec des feuilles blanches tout autour du coeur » (III, v. 509, trad. MC). Quant à Echo, elle meurt de componctio­n : « Il ne lui reste plus que sa voix et ses os ; sa voix est intacte et ses os ont pris, dit- on, la forme d’un rocher. Depuis cachée dans les forêts, elle ne se montre plus sur les montagnes ; mais tout le monde l’entend; un son, voilà tout ce qui survit en elle. » (III, v. 399 sqq., trad. Georges Lafaye). Narcisse, tombé amoureux de son imago, périt de ne pouvoir rencontrer l’autre. Son ego est définitive­ment fracturé : « Celui-là, là-bas, je le suis » – Iste ego sum ( v. 464). Echo a pour destin d’être à jamais le reflet immatériel d’autrui, cachée de tous et que tous cependant peuvent entendre.

Daphné et Actéon

L’univers d’Ovide, en dépit de son ironie, est violent. C’est un monde de passions vives qui le plus souvent causent les métamorpho­ses, qu’elles aient pour fin de punir ou de protéger. Ainsi Daphné – qui signifie « le laurier » – parvient à échapper aux avances d’Apollon/Phébus, le dieu qui pourtant sait tout et voit tout, mais que la passion aveugle. Son père, Pénée, lui vient en aide, en la transforma­nt en laurier : « Puisque tu ne peux pas être ma femme/tu seras mon arbre » (I, v. 546, trad. MC) rétorque le dieu. C’est pourquoi son feuillage perpétuell­ement jeune ornera les chefs latins quand le Capitole assiste à leur triomphe. Mais la métamorpho­se est aussi châtiment, parfois des plus féroces. Ainsi Actéon (III, v. 138252), qui pour avoir inopinémen­t aperçu Diane nue, se voit, lui, le chasseur, transformé, en gibier. « Quel crime dans une erreur ? » (III, v. 142, trad. MC): la faute à pas de chance, la faute à Fortuna, comble ici de l’infortune. La déesse inflige à Actéon un cruel trépas. Gardant conscience de son état antérieur, la larme à l’oeil, incapable de parler sinon en quelques brames déchirants, Actéon, faux cerf, est chassé par ses compagnons et dévoré par ses propres chiens. Un mortel ne saurait sortir indemne d’un face à face avec un dieu: la théophanie n’est pas sans danger pour les simples mortels.

Un poème éternel

Ovide multiplie ainsi les tableaux empruntés aux traditions des cités antiques de Thèbes, Troie, Athènes ou Rome. Reprenant sur fond de guerre de Troie l’histoire d’Enée, il y introduit des couleurs et un merveilleu­x proprement ovidiens, son Enée diffère ainsi beaucoup de celui de Virgile. Le dernier livre évoque quelques images fortes de la geste romaine: le règne de Numa, la figure de Pythagore (alors en regain de mode), la peste à Rome ou le meurtre de Jules César. L’histoire s’arrête sur une ultime métamorpho­se qui ne laisse concevoir aucune autre, hormis celle à venir d’Auguste lui-même: l’apothéose de Jules César transformé par Vénus en constellat­ion aussitôt après son assassinat, le poète prophétisa­nt – le plus tard possible – un destin analogue à Auguste. Il s’en faut de beaucoup que ce feu d’artifice final ait convaincu Auguste de la solidité du ralliement d’un poète un peu trop sensuel, un peu trop charnel, un peu trop libre pour ce César vieillissa­nt. Ovide avait néanmoins assuré l’essentiel: son carmen perpetuum – son poème éternel – lui donnait la seule immortalit­é à laquelle les hommes peuvent aspirer, celle que confèrent à certains d’entre eux leurs oeuvres. Jean Montenot

 ??  ?? Echo et Narcisse, peinture de Nicolas Poussin.
Echo et Narcisse, peinture de Nicolas Poussin.
 ??  ?? Portrait d’Ovide, fresque de Luca Signorelli.
Portrait d’Ovide, fresque de Luca Signorelli.
 ??  ?? Jupiter et Lycaon, peinture de Jan Cossiers.
Jupiter et Lycaon, peinture de Jan Cossiers.

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