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Vers la

A travers un roman et un essai, l’auteure de la fameuse Lettre morte continue d’explorer les zones sombres de notre humanité.

- Linda LÊ

Etudiant englué dans sa thèse sur Kafka, V. vit au bord du lac Léman, là où Fritz Zorn, auteur de l’inoubliabl­e Mars, a été « éduqué à mort » . Elle, une photograph­e dilettante, habite l’avenue de Choisy, dans le quartier asiatique de Paris. Nés en Europe, ces deux jeunes gens solitaires ont grandi dans des familles qui ont fui le Viêtnam pendant la guerre afin d’échapper à l’armée communiste du Nord. Depuis des mois, ils s’écrivent, sans se rencontrer. C’est V. qui a commencé quand il a découvert la série de portraits que la photograph­e a consacrée à une célèbre chanteuse vietnamien­ne. La nuit souvent, la correspond­ante écrit à V. tout ce qu’elle sait du pays de leurs parents et de la cantatrice, gloire déchue de Saïgon, qui incarne l’âme du Viêtnam pour tous les exilés. Chacune de ses lettres se conclut par un ombrageux « Que les démons vous gardent » .

L’exil, le Viêtnam, l’amour de la littératur­e et le questionne­ment des origines : on n’a pas fini de tisser les liens entre Héroïnes et la vingtaine de livres qui composent l’oeuvre de Linda Lê. Née au Viêtnam, arrivée en France à l’âge de 14 ans, la romancière nous a habitués à des textes sombres, peuplés de personnage­s décalés, où le réel et le fantasme se confondent. Le style de Linda Lê, c’est cette tristesse, violente, qui sourd sous l’enveloppe chantourné­e des mots. Tout cela – mais aussi sa conviction profonde que, de l’obsession la plus obscure, jaillit souvent la lumière – se retrouve dans ce nouveau roman ainsi que dans un pétillant essai, Chercheurs d’ombres qui paraît simultaném­ent et semble le prolonger. Dans cet hommage à des artistes (Rainer Maria Rilke, Bruno Schulz, Emile Cioran) qui puisent leur inspiratio­n dans les zones obscures, Linda Lê démontre, une fois encore,

• qu’elle croit, comme Marina Tsvetaïeva, au « cercle enchanté de la solitude » et qu’il faut aller « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau » (autre de ses essais). C’est dans cette direction qu’Héroïnes nous entraîne.

Héroïnes au pluriel. Car, partie de la célèbre chanteuse vietnamien­ne, l’étrange enquête de V. et de sa correspond­ante s’élargit à une combattant­e qui a lutté aux côtés des communiste­s avant de se retourner contre eux, lorsqu’ils ont trahi la cause en s’emparant du pouvoir. Au moment où leurs investigat­ions commencent, celle que l’on surnomme « la maquisarde » est, comme la chanteuse, exilée à Paris. Elle symbolise la révolution quand l’autre, qui a vécu de son art et de ses charmes en se produisant devant les soldats américains et leurs alliés

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