Se souvenir des belles choses
Un héros aux prises avec la vieillesse remonte le temps en évoquant des moments de sa vie.
On a peine à croire que La Vie en temps de paix soit un premier roman. Tant Francesco Pecoraro, ancien architecte et urbaniste ayant auparavant publié des essais et des nouvelles (non encore traduites), fait preuve d’une maîtrise confondante. On imagine que l’Italien doit beaucoup ressembler à son héros, Ivo Brandani. Un ingénieur plus très loin de la retraite qui se dit sans grande réussite professionnelle et qui confesse être obsédé par les catastrophes. Un homme « médusé de vieillir » qui s’apprête à rentrer d’Egypte où il a été factotum technique sur des chantiers au bord de la mer Rouge.
A l’aéroport de Charm el-Cheikh, Ivo attend de reprendre le chemin de Rome. La « Ville de Dieu » . Celle où il a vu le jour pen- dant l’après-guerre. Celle où il a toujours vécu « en Temps de Paix lorsque régnait la Multiplicité Politique » . Celle où il pense mourir aussi. Le voici qui laisse remonter les souvenirs. Le parfum de la crème Nivea, le goût des Gauloises. L’époque où, gamin, il pêchait les poulpes. Une croisière en Grèce avec son patron, qui a mal tourné. Le jour où, garé devant le cimetière dans lequel reposent ses parents, il a écouté un concert de Bill Evans dans sa voiture.
Monsieur n’est pas du genre à se donner le beau rôle, à laisser passer quoi que ce soit. Des échecs, oui, il ne cache pas qu’il en a connu. Au fond, lâche-t-il, il n’est probablement rien d’autre qu’un « non-héros, un non courageux, un nondominant, un qui n’y croit pas, qui ne croit à rien, qui n’a jamais cru à rien » . Pas même quand il avait l’impression du contraire.
Ivo a collaboré, a donné des coups de main. Aimé des femmes. Comme Clara, rencontrée pendant ses années d’université et épousée ; ou Sara, avocate plus jeune que lui. L’autre affaire de son existence reste son rapport à l’eau, à la mer. A l’été, dont il a toujours eu besoin « comme d’une utopie plutôt qu’une saison » . Il faut s’immerger dans ce long fleuve qu’est La Vie en temps de paix pour y découvrir un écrivain puissant dont la voix vous touche en plein coeur.
Alexandre Fillon
nées : quelque chose d’important se trame dans cette école, David s’en pâme mais ne veut pas dévoiler le secret. La danse permet d’ « accéder au royaume des nombres » , se contente-t-il de dire. Madame Arroyo, la très belle directrice de l’académie, explique vouloir guider les âmes des élèves à l’harmonie avec l’univers. Intrigués, les parents laissent faire et se prennent peu à peu au jeu de cet enseignement étrange. S’en suit une succession de dialogues intensément allégoriques, parfois entremêlés de quelques scènes de danse. La voix est claire, densément lourde, minérale. Les échanges entre enfant et adultes portent sur l’amour, la parentalité, la cruauté, la beauté physique et intérieure, le sens de notre présence ici- bas. On assiste à l’éveil d’un esprit singulier. Coetzee a l’art de se faufiler dans les recoins obscurs du récit pour venir y déposer une vive lumière nous dévoilant ce qu’il y a de plus vrai, de plus fondamental. Certes, on ne comprend pas toujours ce qui se cache derrière toute cette solennité, mais la force évocatrice de l’écriture suffit à nous laisser ébahis. Estelle Lenartowicz
Francesco Pecoraro, J. M.