La francophonie expulsée du Tarmac de Paris
Fin janvier, le ministère de la Culture annonçait la fermeture de l’unique lieu permanent consacré à la création francophone dans l’Hexagone. La décision, en contradiction avec l’engagement pour la francophonie du président de la République, a déclenché une forte mobilisation.
O «n nous assassine ! » Les propos de Valérie Baran sont violents. À l’image du couperet qui est tombé sur le Tarmac. Le 31 janvier, elle reçoit un texto qui lui annonce la fermeture du théâtre qu’elle dirige depuis 2004, dans l’est parisien. « C’est un hiatus absolu ! Comment le ministère entend-il mettre en oeuvre les directives du Président en supprimant le Tarmac ? On me répond que la francophonie est l’affaire de tous et que les artistes vont arriver tout seuls sur les plateaux. Mais bien sûr ! »
Valérie Baran en est convaincue : sans un lieu dédié, la plupart des créateurs francophones se retrouveront face à un mur infranchissable. « Une collègue qui dirige un théâtre à Nantes m’a confié que c’est chez nous qu’elle a vu tous les spectacles issus du monde francophone programmés par elle cette année. Les directeurs de théâtre n’ont pas le temps physique d’aller au Burkina Faso ou à Brazzaville pour rencontrer les artistes. Si vous supprimez le Tarmac, les créateurs francophones n’auront pas de visibilité. Bien sûr, quelques auteurs passeront à travers les mailles du filet. Mais on reviendra à un système endogamique avec les mêmes qui tournent en boucle. » Accompagner un jeune auteur par des lieux de résidence, la coédition de ses pièces ou la programmation de spectacles : tel est le sens de l’action du Tarmac. Et cela porte ses fruits. Valérie Baran cite l’exemple de Dieudonné Niangouna. Associé en 2013 au Festival d’Avignon, l’homme de théâtre congolais a fait sa première création en France, au Tarmac. Dès l’annonce de la fermeture, la mobilisation s’est organisée. Une pétition en ligne rassemblait près de quinze mille signatures début mai. Il y a aussi un blog, un comité de soutien politique et un comité de soutien public « prêts à créer une nouvelle ZAD », affirme Valérie Baran. En février, une soirée a réuni de nombreuses personnalités, dont l’académicien Dany Laferrière et l’ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira.
OÙ ALLER ?
La fermeture du Tarmac est prévue pour fin 2018. Et après ? Les locaux doivent revenir au Théâtre Ouvert. Pour la création francophone, direction le château de Villers-Cotterêts, à l’horizon 2022. Le président Macron veut y bâtir le futur haut lieu de la francophonie dans la ville où François Ier a édicté l’ordonnance qui impose le français comme langue du droit et de l’administration. Le symbole est fort, la note sera salée. Au moins deux cents millions d’euros. Mais rien dans ce qui est annoncé ne se substitue au projet du Tarmac. « Il est très important, pour les artistes francophones, que leur travail soit montré à Paris, qu’ils aient un lieu dans la capitale », insiste Valérie Baran. Au risque d’être confinés dans les marges, à la périphérie qu’ils occupent déjà.
Gladys Marivat