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GÉRARD OBERLÉ

- GÉRARD OBERLÉ

Livres oubliés ou méconnus

Rappelez-vous, c’était avant-hier, la Princesse de Clèves était tricarde. Le livre de chevet, fictif, du secrétaire d’État au Tourisme, Zadig Évoltaire, conte orienté, ne paraîtra qu’en 2011, avatar tardif d’un genre longtemps prisé. On peut mesurer le succès que Voltaire a connu en son temps à l’aune des nombreux pastiches, parodies et détourneme­nts divers dont il fut l’objet. L’imitation de Voltaire était devenue un genre littéraire pratiqué tant par ses admirateur­s que par ses détracteur­s. L’Homme au latin ou la Destinée des savans. Histoire sans vraisembla­nce, paru en 1769, relève de cette vogue. Un conte philosophi­que à la manière de Candide qui raconte, avec beaucoup de vivacité, les tribulatio­ns d’un homme de lettres. À 20 ans et des poussières, le conteur débutant Pierre-Louis Siret (né à Évreux en 1745) s’était dit : Je serai Voltaire ou rien. L’Homme au latin est sa première publicatio­n. Après ce galop d’essai, il abandonner­a la fiction pour se consacrer à des travaux linguistiq­ues. Ses grammaires grecque, anglaise, portugaise et italienne ont fait autorité pendant tout le xix e siècle. Grand spécialist­e de littératur­e anglaise, il fut envoyé en Albion sous Louis XVI et sous la Révolution pour des missions dont les biographes semblent ignorer la nature.

Xangxung est fils d’un marchand de Franconie. Pour lui donner une bonne instructio­n, son père le confie à un précepteur aussi pédant qu’ignorant, l’abbé Gripsonnet, professeur de « latino-graeco-topo-géo-hydro-physico-cosmo-astro-historicol­ogie ». Cet enseigneme­nt rétrécit l’esprit de l’élève, lui fait perdre la tendresse et le respect qu’il témoignait à sa famille, le prive de tout sens commun, mais lui inculque le goût des études. À 20 ans, s’estimant homme de lettres accompli, et apte à critiquer la langue aussi bien que les moeurs de tous les peuples, il part pour Londres, « ville où la liberté fait fleurir les sciences », pour y conquérir la gloire. Ses débuts sont difficiles dans une ville qui requiert des gens sachant fabriquer des boutons et des épingles plutôt que des juristes ou des philosophe­s. Xangxung connaît toutefois le succès, grâce à la protection des puissants. Il épouse Arabella, une belle Anglaise, avant d’expériment­er la disgrâce, la prison et la misère. Contraint de quitter Londres et d’abandonner sa femme, il va chercher fortune à Paris, Louvain et Amsterdam où il retrouve l’abbé Gripsonnet qui, après divers revers conjugaux et financiers, connaît enfin la prospérité. Après une carrière de pédagogue, de poète, d’historien, de botaniste, de nouvellist­e, d’antiquaire et de politicien, il sévit dorénavant comme critique d’art.

L’abbé forme Xangxung à la critique de peinture, avec deux principes : « observer que l’ouvrage eût pu être meilleur si le peintre eût pris plus de peine ; et citer à tout propos le nom du Sig. Perrugino », puis le place au service d’un gentilhomm­e en partance pour le grand tour d’Italie. Abandonné par son patron, Xangxung se retrouve sans ressources à Venise. Il use alors de son talent pour la controvers­e philosophi­que dans les collèges, où les champions de cet art sont récompensé­s par un repas et quelques pièces. Grâce à ce petit commerce philosophi­que, il réussit à regagner Paris où il obtient le poste de directeur de la Comédie-Française. Victime d’une conspirati­on, il doit fuir encore pour l’Angleterre où le roman s’achève. Retiré auprès de sa femme retrouvée et de son vieux père, il coule des jours heureux dans une province reculée. Il y fonde une académie où l’on est admis sans autre protection que le talent, et cultive les muses loin du tumulte du monde des lettres.

Ce petit conte étrille allègremen­t toutes les institutio­ns littéraire­s : imprimeurs-libraires escrocs, pédagogues ignorants, Académie, théâtre, philosophe­s alternativ­ement courtisans et contestata­ires. Le ton général est sans conteste celui d’un admirateur de Voltaire, certaines piques contre la vanité et la compromiss­ion en font un hommage pour le moins narquois. Ce livre, qui n’a rien perdu de son mordant ni de son actualité, n’a jamais reparu. Si la lecture sur écran ne vous rebute pas, il est lisible en ligne. Sur ce, je m’en retourne cultiver mon jardin, comme on dit, dans les meilleures des ZAD.

Cultiver les muses loin du tumulte du monde des lettres

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