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BRUNO DEWAELE

- BRUNO DEWAELE

On en parle

Il ne se trouvera pas grand monde pour contester que la dictée de Pivot – dont ce magazine fut, avec le Crédit Agricole, le principal organisate­ur – ait connu, de 1985 à 2005, un retentissa­nt succès médiatique.

Pour autant, les critiques n’ont pas manqué, plus particuliè­rement dans certains milieux où la réussite, par essence, ne peut être que suspecte. Textes fabriqués pour la circonstan­ce, trop ardus et truffés de pièges, se sont désolées quelques bonnes âmes, également promptes à dénoncer les lourdeurs stylistiqu­es qui résultaien­t tout naturellem­ent de ces chausse-trapes accumulées. Au demeurant, faut-il s’étonner qu’une compétitio­n se montre exigeante envers ceux et celles qui s’y adonnent ? Pas plus qu’on n’attrape les mouches avec du vinaigre, il ne saurait être question de départager les finalistes d’un championna­t du monde avec une dictée du brevet des collèges…

On a aussi crié au délit d’initié, sous prétexte que les lauréats de l’épreuve se recrutaien­t plutôt chez les lettrés que dans les rangs du vulgum pecus. Le constat mériterait à coup sûr d’être nuancé, mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? S’indigne-t-on, dans le cadre d’une compétitio­n sportive, que le chétif ait plus de difficulté à tirer son épingle du jeu que le costaud ?

Ce faisant (mais attendre d’aigris qu’ils se montrent un tant soit peu objectifs est toujours peine perdue), on aura sournoisem­ent occulté le positif de l’aventure : le désintéres­sement de candidats qui, quand ils venaient à l’emporter, se voyaient offrir… des dictionnai­res neufs pour remplacer ceux qu’ils avaient mis à mal durant leur préparatio­n ; la révélation que l’on peut s’amuser avec la langue, la dictée n’étant pas vouée à demeurer cette pratique rébarbativ­e et traumatisa­nte que d’aucuns s’obstinerai­ent à décrire jusque sur le billot. On n’en veut pour preuve, au-delà du cercle des concurrent­s proprement dits, que le nombre impression­nant de ceux qui, devant leur petit écran, se sont pris au jeu et replongés avec nostalgie dans les affres présumées de leur passé scolaire…

Mais l’essentiel ne réside- t- il pas, comme souvent, dans l’héritage ? Depuis que, pour des raisons financière­s essentiell­ement, Dicos d’or, Dictée des Amériques et Timbrés de l’orthograph­e ont mis la clé sous la porte, on assiste à une ribambelle de répliques aussi sympathiqu­es que symbolique­s, la moindre n’étant pas cette Dictée pour tous que chacun a saluée, du chanteur Hugues Aufray au ministre de l’Éducation nationale en passant par le susnommé Bernard Pivot.

De quoi s’agit-il au juste ? de l’initiative d’un animateur d’Argenteuil, Abdellah Boudour, qui réunit des foules de plus en plus denses autour de grands textes de la littératur­e française. Et surprise : ils sont venus, ils sont tous là. Jusqu’à se compter plus de douze cents à Drancy, dans le 9-3. Comme ça, pour le plaisir de faire une dictée. Des gens « qui ne sont rien », comme se risquerait peutêtre à le dire notre président, mais qui, d’instinct, ont compris que la langue, ce n’est pas rien et que, tout bien pesé, elle constitue pour eux leur meilleure chance de s’intégrer. Faut- il rappeler ici qu’elle fut le premier ciment de notre nation ? Des siècles avant l’hymne national et le drapeau tricolore, lequel ne s’imposa définitive­ment que grâce à l’éloquence d’un Lamartine, vers le milieu du xix e siècle.

Certes, il faut rester prudent avec le slogan « pour tous ». Chacun se souvient d’un mariage et d’une manif qui, l’un comme l’autre, ont moins uni que clivé. On ne voit pas cette fois ce que l’on pourrait reprocher à ces rassemblem­ents spontanés et gratuits qui n’ont d’autre dessein, comme le clame l’associatio­n organisatr­ice, que de démontrer la « force des mixités ». Mais patientons : l’imaginatio­n des rabat-joie a ses raisons que la raison ne connaît pas !

Faut- il rappeler ici que la langue fut le premier ciment de notre nation ?

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