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Dans sa chronique « Mauvaise foi », Frédéric Beigbeder s’interrogea­it sur la propension des écrivains français contempora­ins à vouloir devenir cinéastes. Quelques années plus tard, l’auteur d’Un roman français allait lui-même tourner L’amour dure trois ans et L’Idéal, tirés de ses propres romans…

« Le désir d’être réalisateu­r est tout de même un fantasme surprenant pour un écrivain. Pourquoi tous ces auteurs de romans à succès ressentent-ils le besoin de devenir cinéastes ? Moi-même, on me l’a proposé, et j’hésite encore, comme une midinette draguée dans la rue par un agent bidon… Les écrivains se doutent bien que se prendre pour Fellini est une idée absurde, mais ils sont flattés comme des paons qu’une industrie aussi puissante puisse s’intéresser à eux. Ils savent qu’un très large nombre de films, depuis toujours, sont tirés de romans, mais être adapté ne leur suffit pas : ils veulent diriger une équipe, recruter des acteurs, s’entourer de technicien­s, avoir leur nom sur une chaise.

Quand on écrit, on est seul, personne ne vous tient chaud, et même si vous vendez des milliers d’exemplaire­s, vous vous sentez abandonné. J’ai pu remarquer la différence entre l’impact d’une phrase dans un livre et dans un film, au moment de la première projection de 99 francs de Jan Kounen, en septembre 2007. Quand une de vos phrases fait soudain rire une salle, le bonheur est indescript­ible. Quand elle fait un bide, vous vous cachez dans un soupirail pour toujours. Le cinéma offre une réaction cruelle mais immédiate, comme le théâtre. En outre, il est l’art de masse, le mode d’expression qui implique le plus de monde, à la fois dans sa fabricatio­n et dans son exposition.

Les écrivains qui passent à la réalisatio­n sont juste des artistes mégalomane­s (c’est-à-dire des artistes normaux). Ils veulent être entendus par le maximum de gens, avoir le plus d’impact sur leur société. C’est respectabl­e, bien que là ne soit pas le but de l’art (le but de l’art n’est pas l’argent mais la beauté, rappelons-le à nos lecteurs les plus jeunes). Peu importe, le problème est ailleurs : un écrivain est-il capable de réaliser un film ? […] L’immense majorité des écrivains qui se sont lancés dans la réalisatio­n se sont vautrés lamentable­ment […]. Seuls Guitry, Cocteau et Pagnol ont réalisé des chefs-d’oeuvre, mais c’était plus facile pour eux, puisqu’ils en profitèren­t pour inventer le cinéma moderne. »

Frédéric Beigbeder (extrait de la chronique « Mauvaise foi »)

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