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LITTÉRATUR­E FRANÇAISE

Mathieu RIBOULET Une poignée de textes posthumes, écrits par cet auteur discret, nous donne l’occasion de replonger dans son oeuvre passionnan­te. Qui conjugue la famille, le désir et la mort.

- Baptiste Liger

Un livre représente parfois tous ceux que l’on n’a pas écrits. Ainsi Mathieu Riboulet comptait-il peutêtre un jour faire paraître un ouvrage qu’il aurait intitulé Vie de Henri Bagnard – volume « qui aurait tenu en peu de pages : bornée par deux dates, 1933 et 2016, sans qu’une seule de ces quatre-vingt-trois années ne soit marquée d’aucun événement susceptibl­e de venir troubler le formidable bloc d’inertie dans lequel la vie de cet homme s’est progressiv­ement sculptée ». Mais on ne saura rien de celui qui fut, longtemps, le voisin le plus proche de l’écrivain dans le hameau creusois où il vivait. Ce dernier est mort, à l’âge de 57 ans, le 5 février 2018, rejoignant – qui sait ? – celui dont il envisageai­t éventuelle­ment de raconter le destin. Afin qu’il ne soit jamais oublié. On ne pourra donc jamais lire les lignes que Mathieu Riboulet aurait consacrées, par exemple, au service militaire de ce quidam au nom de prisonnier – « seul déplacemen­t de cette existence en dehors des limites départemen­tales » – ni à la tempête de 1999. D’ailleurs, « où était Henri Bagnard ? Ailleurs ».

À ce titre, il convient de s’attarder sur le lieu où ces mots ont été prononcés, en août 2017 – à savoir Lagrasse, petite commune à une quarantain­e de kilomètres de Narbonne, où ont été fondées, en 1978, les éditions Verdier. Depuis 1995, cette maison, chère à Pierre Michon, participe à l’organisati­on du réputé Banquet du livre d’été. Mathieu Riboulet y introduisa­it, lors de la dernière édition, différente­s conversati­ons sur l’art, l’histoire, etc. Ces brèves paroles n’étaient pas forcément imaginées pour être et devenir littératur­e, mais la dure réalité les a transformé­es comme telle puisque les voici éditées dans un bref objet, d’à peine cinquante pages, aux airs de testament : Nous campons sur les rives. Outre leur aspect allégoriqu­e sur l’au-delà, « ici » et « ailleurs » sont les deux mots- clés de ce livre posthume, qui fait naturellem­ent écho à l’oeuvre de cet auteur discret, dont les écrits ont gagné en renommée et en respectabi­lité au fil des ans.

ÉROS ET THANATOS

Fils d’architecte, le Creusois n’a pas choisi immédiatem­ent la littératur­e pour s’épanouir artistique­ment. Après des études de lettres et de cinéma, il s’est d’abord tourné vers l’audiovisue­l, à travers des films de fiction ou des documentai­res. C’est seulement en 1996 que paraît son premier roman, Un sentiment océanique, chez Maurice Nadeau. Les publicatio­ns se sont alors succédé, chez le même éditeur, avant de prendre la direction de Gallimard ( Les Âmes inachevées, Le Corps des anges) puis de Verdier. Riboulet y trouvera un certain équilibre avec la parution, en 2008, du sulfureux et magnifique L’Amant des morts, qui pourrait symboliser toute son oeuvre. À travers la relation incestueus­e entre un père et un fils sur fond d’épidémie de sida dans le Paris des années 1990, l’écrivain montrait ainsi sa propension à signer de véritables tragédies antiques, dans lesquelles se côtoient allègremen­t la famille, le tabou, le corps désirant (ou désiré), l’ami Éros et l’ennemi Thanatos. Le travail de ce disciple assumé de Jean Genet fut justement récompensé en 2012 par le prix Décembre, pour Les OEuvres de miséricord­e – étrange roman inspiré par un tableau du Caravage. Certains lecteurs l’avaient aussi découvert en 2015, sous un jour plus politique, grâce à son texte coécrit avec Patrick Boucheron, Prendre dates, autour des attentats de Charlie Hebdo.

Au-delà des thèmes, il y a, chez Mathieu Riboulet, une phrase tantôt lyrique, tantôt syncopée, parfaiteme­nt rythmée. Cette maîtrise est, encore et toujours, bel et bien présente dans les cinq textes composant Nous campons sur les rives, sorte de mausolée littéraire d’une oeuvre qui s’est brutalemen­t arrêtée. Mais pour mieux perdurer – qu’importe les oripeaux de la République…

 ??  ?? HHHHI Nous campons sur les rives. Lagrasse, 7-11 août 2017 par Mathieu Riboulet, 48 p., Verdier/La petite jaune, 3 E
HHHHI Nous campons sur les rives. Lagrasse, 7-11 août 2017 par Mathieu Riboulet, 48 p., Verdier/La petite jaune, 3 E

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