JOSYANE SAVIGNEAU Certains l’aiment Jo
Une idée pour l’été : délaissez les livres dont on vous dit qu’ils vont vous faire oublier les fatigues du travail. Le cerveau, si on le laisse trop se reposer, se rouille. Misez plutôt sur un écrivain en pleine force de l’âge, à presque 200 ans : Herman Melville (1819-1891).
Avant de vous immerger, c’est le cas de le dire, dans la passionnante édition de Philippe Jaworski, Moby- Dick ou le Cachalot, ouvrez- la à n’importe quelle page. Vous serez alors ébloui. Exemple : « Le lendemain matin, la mer toujours inapaisée roulait de longues, lentes et puissantes lames, et venait jusque dans le sillage gargouillant du Pequod pousser le navire en avant, comme avec des paumes grandes ouvertes de géant. La brise soufflait en rafales si obstinément vigoureuses que le ciel et l’air semblaient d’immenses voiles gonflées ; l’univers tout entier filait, toute sa toile déployée devant le vent. »
Ensuite, pour une petite balade au côté de l’auteur américain – avant de revenir vers son chef-d’oeuvre, Moby-Dick (1851) –, le bref essai de Claude Minière, Encore cent ans pour Melville, est parfait. Cent douze pages, en courts chapitres, pour comprendre qu’il reste encore beaucoup à apprendre sur cet « agent double ». Il avait peu d’amis, peut- être un seul, Nathaniel Hawthorne (18041864) – si vous avez le temps, faites un détour par La Lettre écarlate ( diverses éditions en poche). Claude Minière cite une lettre de Melville destinée à Hawthorne, datée du 1er juillet 1851, un an après leur rencontre : « Il peut sembler incohérent de revendiquer un démocratisme inconditionnel en tous domaines et d’avouer cependant qu’on a le dégoût du genre humain pris en masse. Aucune incohérence ! » À méditer.
Melville a eu des difficultés à se faire publier, de multiples conflits avec les éditeurs, des livres mal accueillis. En France, en 1853, un critique de la Revue des deux mondes estimait, à propos de Moby-Dick, que son auteur « eût gagné à ne point user autant de ces excentricités purement extérieures qui consistent dans une grande prodigalité de titres bizarres, de digressions inattendues, de bibliographies à contretemps, d’érudition superflue ». Après cette lecture, on se dit que Philip Roth a été bien avisé de traiter les journalistes littéraires de « sourds sans oreille » et que Melville avait bien raison d’écrire, en 1846, dans son roman autobiographique Typee ( Taïpi en français) : « Pour le dire comme les marins, en une formule nette et concise, j’avais pris la décision de m’échapper. »
Il est temps, donc, de commencer ce magique MobyDick – illustré par Rockwell Kent –, dans cette belle traduction de Philippe Jaworski. « Appelez-moi Ismaël. Il y a quelques années de cela – peu importe combien exactement –, comme j’avais la bourse vide, ou presque, et que rien d’intéressant ne me retenait à terre, l’idée me vint de naviguer un peu et de revoir le monde marin. C’est ma façon à moi de chasser la morosité et de corriger les désordres de mes humeurs. » Quelques jours plus tard – ou de longues heures, si l’on s’interdit toute distraction –, on lira : « C’était la Rachel à la course errante ; ayant rebroussé chemin pour continuer de chercher ses enfants perdus, elle ne trouva qu’un autre orphelin. »
Ensuite, on pourra profiter de ce qu’offre comme compléments ce « Quarto » : la préface de Philippe Jaworski, « Souffle là ! Souffle là ! C’est Moby-Dick » ; le dossier « Des origines à la postérité de MobyDick » , avec Faulkner avouant : « J’aurais voulu l’avoir écrit. » En un mot, avec Moby-Dick, quel bel été !