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La promesse de l’aube

En 1982, Patrick Poivre d’Arvor publiait son premier roman, Les Enfants de l’aube. Au moment où le célèbre journalist­e fait paraître une nouvelle fiction – L’Ambitieux –, retour sur un triomphe éditorial d’une autre époque…

- Baptiste Liger

Il y a une vie en dehors du journal télévisé. Avant, pendant, après. Et ce, même pour celui qui, pendant tant d’années, a entonné son célèbre « Mesdames, messieurs, bonsoir » . Si l’on connaît Patrick Poivre d’Arvor comme présentate­ur des infos – mais aussi de diverses émissions (citons Ex-Libris, Vol de nuit et, aujourd’hui, Vive les livres ! sur CNews) –, on sait aussi que ce passionné de littératur­e a signé une soixantain­e d’ouvrages, lui valant quelques polémiques. Ce que l’on a peut-être oublié, c’est qu’il a connu, pour son premier volume publié, un extraordin­aire succès en librairies, avec des chiffres relevant aujourd’hui de la légende urbaine. À l’occasion de la parution d’un nouveau roman – une variation balzacienn­e autour d’un jeune député aux dents longues, L’Ambitieux (Grasset) –, revenons sur l’incroyable odyssée des Enfants de l’aube*. Qui a fait pleurer bien des lectrices et des lecteurs. Mais pas seulement, comme le souligne PPDA : « Près de quarante ans après sa parution, de nombreux adolescent­s de l’époque me confient y avoir découvert leurs premiers émois… »

Hiver 1964. « Je venais d’avoir mon bac à Reims et j’avais déménagé à Strasbourg pour y faire du droit et Sciences Po avec, se souvient- il, l’idée d’intégrer le Quai d’Orsay. J’avais repéré un grand nombre de diplomates écrivains et je croyais que c’était la filière rêvée pour devenir auteur. J’étais bien seul dans ma petite chambre de bonne. Pas d’amis, une ville inconnue. Je me suis mis à noircir un petit cahier noir… »

« Une histoire de globules »

Un tsunami éditorial relevant de la légende urbaine

Il commence alors à raconter une histoire, lointainem­ent inspirée par la maladie dont il fut atteint à l’âge de 13 ans – « une forme de leucémie » – et par un séjour au sanatorium. Les Enfants de l’aube s’ouvre ainsi sur cette explicatio­n : « Au commenceme­nt, une histoire de globules rouges et de globules blancs qui jouent à la bataille navale. » Un adolescent souffreteu­x, Tristan, est envoyé dans un établissem­ent de soins en Suisse. Là-bas, le jeune homme découvre l’amour dans les yeux, les bras, et plus encore, d’une fille intrépide, Camille. De cette relation passionnée, parfois houleuse, naîtra quelques mois plus tard un petit garçon. Mais la

maman décède lors de l’accoucheme­nt, laissant le père, veuf à 16 ans, avec ce bébé dont il ne sait quoi faire. Ce dernier assistera, des années après, au suicide de son géniteur et apprendra, dans « un vieux carnet à couverture de cuir » et dans des lettres, toute l’histoire de Tristan et de Camille…

1,7 million d’exemplaire­s !

S’il avait des désirs littéraire­s, Patrick Poivre d’Arvor n’avait, jusqu’au début des années 1980, jamais songé à publier ce livre. « Lorsque j’ai commencé à présenter le journal télévisé sur Antenne 2, France-Soir

m’a interrogé sur mes rêves et mes désirs. Après avoir lu cette interview, Yves Berger, éditeur chez Grasset, m’a téléphoné pour lire le manuscrit dont je parlais. » Il l’a alors soumis à la grande papesse de l’édition, Françoise Verny, et à François Nourissier, qui ont alors proposé de le publier après remaniemen­t du texte. Mais une amie attachée de presse, Catherine Reyer, lui recommande de venir chez Jean-Claude Lattès. Celui-ci, avec son épouse Nicole ainsi que Bernard Privat, montre également un évident intérêt et souhaite « garder l’innocence et les défaits du roman ». C’est pourquoi l’auteur débutant signe dans cette maison. Les mois s’écoulent et Les Enfants de l’aube paraît en 1982. L’accueil critique est, dans l’ensemble, plutôt bon.

« Je me souviens entre autres d’un bel article de Jean-François Josselin dans Le Nouvel Observateu­r. En revanche, mon passage à Apostrophe­s a été un peu chahuté. » On peut en outre citer un fameux réquisitoi­re de Pierre Desproges dans Le Tribunal des flagrants délires – « Il en est du romantisme fiévreux comme de la moule pas fraîche : quand on en abuse, ça fait mal au ventre. »

Mais les quelques petites attaques pèsent peu face au tsunami éditorial du livre, devenu tout simplement le Love Story

français. « Un jour, Jean-Claude Lattès m’a montré un exemplaire du Quid qui parlait, à la rubrique “records”, d’un chiffre total d’1,7 million exemplaire­s ! » Dans le détail : 300 000 copies vendues dans la première édition, 300 000 en poche et, surtout, plus d’1,3 million chez France Loisirs – sans compter les traduction­s, et l’adaptation en téléfilm, par Marc Angelo, diffusée en 2004. « Les Enfants de l’aube fut numéro un des ventes tout l’été. Cela ne m’est jamais plus arrivé, mais quel bonheur ! Avoir connu ça au moins une fois, c’est magnifique et ça vaccine contre la grosse tête. »

* Toujours disponible au Livre de Poche

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Patrick Poivre d’Arvor le 6 mars 1983, sur Antenne 2, lors des élections municipale­s.

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