10 / Johann Chapoutot
Àla sortie de la guerre, Reinhard Höhn se met au service des nouveaux idéaux de la jeune RFA, en particulier la croissance économique. En 1954, il crée à Bad Harzburg un institut de formation où sera enseigné le « management par délégation de responsabilité ». Dans ce modèle, l’exécutant est tenu d’atteindre un objectif défini par son supérieur hiérarchique, tout en disposant d’une relative autonomie pour y parvenir. Entre « liberté d’obéir » et « obligation de réussir », il doit être rentable-performant-productif. Ce schéma restera en vigueur une vingtaine d’années, jusqu’à l’arrivée de méthodes managériales américaines, puis japonaises. La roue tourne, en 1971, lorsque le quotidien social-démocrate Vorwärts révèle le passé de Höhn. En 1945, il était en effet général de la SS. Juriste, idéologue, il avait été chargé d’adapter la production et l’administration du Grand Reich gagné sur les terres et les populations slaves de l’Est. Sa solution ? Précisément cette méthode, fondée sur « l’élasticité » et « la joie au travail »… Tel est le sujet de Libres d’obéir, nouveau chapitre de l’histoire culturelle du nazisme, entreprise par Johann Chapoutot. Dans cet essai – écoulé pour le moment à 15 000 exemplaires –, l’historien s’interroge : comment l’un des régimes les plus criminels a-t-il pu encourager un mode d’organisation non autoritaire au sein d’un système hiérarchisé ? Peut-on dire que le futur « miracle allemand » a été bâti sur ses ruines ?