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Les mots ne meurent jamais

- Laëtitia Favro

Faire exister des oeuvres à l’épreuve du temps, telle est la tâche que confie Cécile Ladjali à son personnage. La romancière, par ailleurs enseignant­e et passeuse de savoir, nous montre à quel point il s’agit pour elle et, pour nous tous, d’un sujet essentiel.

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LA FILLE DE PERSONNE

PAR CÉCILE LADJALI,

208 P., ACTES SUD, 19,50 €. EN LIBRAIRIE LE 4 MARS.

« Je suis Luce Notte. Un contre- jour. Une lumière mourante. » Hantée par le fantôme d’un père absent et par la promesse faite à sa mère de le retrouver, Luce Notte parcourt l’Europe à sa recherche. Son périple est également l’occasion de nourrir la thèse que l’étudiante berlinoise a entreprise sur les bibliothèq­ues englouties, sur ces « livres à l’épreuve du feu » qui la fascinent depuis toujours. « Ces oeuvres nous auraient-elles livré la clef de l’Absolu que les artistes continuaie­nt de traquer ? » Bien des années plus tard, à l’aube de la vieillesse, Luce tient une librairie rue des Écoles à Paris, où, à défaut de l’avoir retrouvé, lui, elle a rassemblé les titres avec lesquels son père « s’était fait la malle ». Grâce au jeu de ce qu’elle nomme des « coïncidenc­es supérieure­s », Luce se retrouve la dépositair­e de deux manuscrits inédits, l’un de Franz Kafka, dont elle avait croisé le chemin à Prague, et l’autre de l’écrivain iranien Sadegh Hedayat. Des écrivains hantés par la tentation du suicide et par la crainte que leurs écrits demeurent « des mirages ». Des auteurs qui semblaient l’attendre, elle, la fille de personne, pour lui confier leurs textes et la tâche de les faire exister.

Héroïne psychopomp­e, Luce réalise sa quête déçue des origines en sauvant des oeuvres promises à l’oubli, exauçant ainsi la célèbre devise nietzschée­nne (les titres des chapitres étant empruntés à Ainsi parlait Zarathoust­ra) : « Deviens ce que tu es. » En héritant sans le vouloir de ces deux manuscrits, Luce devient ce pour quoi elle était destinée, une « passeuse » de savoir entre les morts et les vivants, au même titre que votre libraire, votre professeur ou une aïeule amoureuse, comme vous, des livres. Parce qu’elle dépasse « les bornes syntaxique­s et géographiq­ues » et représente, comme le suggère son nom, le jour comme la nuit, Luce s’incarne en chacun de ceux qui se font un devoir de transmettr­e. Portée par l’exigence caractéris­ant ses écrits depuis son entrée en littératur­e, Cécile Ladjali signe avec La Fille de personne un roman d’une beauté spectrale en même temps qu’une méditation vertigineu­se sur l’acte de créer.

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