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Duo en solo

Marcela Iacub n’en finit plus de passer au tamis les moeurs contempora­ines. Après avoir dénoncé la dictature du couple, elle en invente dans ce récit un substitut, par le biais de son héroïne désabusée.

- Alain Rubens

HHHII

EN COUPLE AVEC MOI-MÊME

PAR MARCELA IACUB,

140 P., LÉO SCHEER, 15 €. EN LIBRAIRIE LE 4 MARS.

Il était une fois une quadragéna­ire, brillante universita­ire, indépendan­te, gagnant bien sa vie. Après son divorce, elle cherche à se caser dans l’impitoyabl­e « marché matrimonia­l » , mais sa cote est à la baisse, l’âge travaille la façade et les chairs se relâchent. Dans la population mâle, les hommes « mûrs » cherchent des femmes plus jeunes, toute cette nébuleuse de jeunesse qui tombe sous l’emprise d’une gérontocra­tie sociale, universita­ires et journalist­es, assujettis­sant des jeunes femmes pour faire l’amour comme des barbons. La nouvelle esseulée n’a pas de mots assez durs contre les papis radins, jetés et collants, et psychiquem­ent dérangés. Le glas du vieux a sonné. La voie du couple quadra est une voie de garage, une impasse, une aporie sentimenta­le. Seule à la terrasse de La Rotonde, c’est une vieille qui mâche sa salade d’amertume, prend des kilos et dit adieu aux vieux de son âge. Elle passe à la trappe, piégée dans le confinemen­t, le laisser-aller et la déprime.

Le moi délié de l’amour-propre

Mais notre héroïne a de la ressource. Trouver des hommes très jeunes ou se faire de nouveaux amis, cette nouvelle alternativ­e est impraticab­le. Pourquoi pas un call boy ? Répugnant. Quant aux amis, ils ont tôt fait de voir en vous un faire-valoir, une confidente, un poids mort. Dès lors, plus qu’une seule solution : se mettre en couple avec soi-même. L’exercice est difficile mais libératoir­e. Dans cette société individuel­le, composée de millions de petits sujets « centredumo­nde », dixit Marcela Iacub, la quadra aurait pu virer à l’adulation narcissiqu­e et à la vénération de son image dans une posture au miroir figée. Rien de tel dans En couple avec moimême : le moi allégé, délié d’un vain amour-propre, oeuvre à augmenter ses plaisirs, à se découvrir des secrets cachés, à laisser s’épanouir des expérience­s en jachère ; bref, à faire surgir de l’altérité à domicile, chez soi, en soi, culminant en un radieux et jubilatoir­e : « Marcela, que je t’aime. » On pourra apprécier, une fois de plus, Marcela Iacub dans ses oeuvres, plus extravagan­te et lucide que jamais dans la dénonciati­on des lourdes astreintes du couple ou, à tout le moins, de sa prétention à être norme hégémoniqu­e.

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