Aliénés de la société
Vingt-cinq ans après la parution d’Un monde sans limite, Jean-Pierre Lebrun souligne combien les avancées scientifiques et technologiques réalisées ont conduit aux notions d’autonomie et d’individualisme. À l’encontre de toute idée de lien social.
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UN IMMONDE SANS LIMITE PAR JEAN-PIERRE LEBRUN, 288 P., ÉRÈS, 25 €
Si la psychanalyse a quelquefois mauvaise presse, certains de ceux qui réfléchissent à partir des horizons ouverts par Freud n’en apportent pas moins de stimulantes contributions à la réflexion sur le monde comme il va (ou ne va pas). Analyste avisé des transformations récentes de l’existence humaine, fort de son expérience clinique et de lectures très variées, Jean-Pierre Lebrun est assurément de ceux-là. Après Un monde sans limite (1997),
La Perversion ordinaire (2007) et
Clinique de l’institution ( 2012), il scrute dans Un immonde sans limite les soubassements psychiques de ce « marécage » que tend à devenir le monde social contemporain.
Réapprendre à nouer des relations
Comment faire société avec des sujets « épars désassortis » (Lacan), individus qui se « croient nés d’eux- mêmes » , désassujettis, désubjectivés, de moins en moins à même d’accepter la perte, le renoncement à la toute-puissance qu’imposent les contraintes de la vie en commun ? Dans une société passée en quelques décennies « de l’immuable institué de la religion à l’instable institué de la démocratie » , il faudrait penser un « pastout vertical » (sic) et une « pastoute horizontalité » ( sic), moyen terme entre le « tout vertical » du modèle patriarcal d’autrefois et le « tout horizontal » de la société réticulaire contemporaine. Il faut réapprendre à être des sujets parlants – des « parlêtres » pour reprendre le mot-valise lacanien – aptes à nouer des relations et à dépasser la pratique « d’une sexualité récréative […] sans engagement subjectif ». S’il arrive que le propos soit pris en écharpe par les débats inhérents aux chapelles analytiques – il y a plusieurs demeures dans la maison lacanienne –, Un immonde sans limite a le mérite, en dépit de cette quérulence, de faire « sortir les enjeux cruciaux » de ces conflits.