Balades en réminiscences
Les paysages italiens sont au coeur du roman d’Esther Kinsky, dépeints à l’occasion de trois voyages entre onirisme et naturalisme.
Àson arrivée dans le Latium, la narratrice du Bosquet n’est plus tout à fait sûre d’appartenir au monde des vivants. Deux mois plus tôt, elle assistait aux funérailles de M., l’être aimé, et son présent se conjugue désormais « sur le mode de l’absence » . Depuis l’éminence sur laquelle est perchée la maison que le couple avait louée pour des vacances, elle observe le village d’Olevano s’éveiller, croise « les mêmes visages, les mêmes manteaux d’hiver, les mêmes bonnets de laine », dont la familiarité la console, avant de partir sur les traces des FinziContini à Ferrare, puis de souvenirs d’adolescence hantés par la figure d’un père amoureux fou de l’Italie. Trois voyages, du delta du Pô au Trastevere romain, s’entremêlent alors et dessinent un triptyque aux couleurs, senteurs et saveurs méridionales, où les fantômes des morts côtoient les silhouettes des vivants, et les réminiscences quelques fantasmagories nées de la brume enveloppant les décors de cette méditation sur le deuil et la présence au monde. Esther Kinsky écrit en mouvement. Après avoir sillonné les plaines hongroises dans deux premiers romans (non traduits) et remonté le cours d’un affluent de la Tamise dans le remarquable La Rivière (2017), sa plume révèle cette fois, au sens photographique du terme, les innombrables nuances de paysages italiens qu’un simple récit de voyage demeure impropre à signifier. Car il ne s’agit pas seulement, dans Le Bosquet, de visiter des lieux à travers le regard d’une passante, mais d’en saisir l’essence grâce à ceux, animaux, humains, végétaux ou minéraux, qui l’animent.