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L’enrhumé

Dans la rubrique « Pour finir », Félicien Marceau (de l’Académie française) se penche sur l’importance du rhume dans l’oeuvre de Georges Simenon. Atchoum !

- F. M.

« De l’épilepsie à la crise de nerfs (on se souvient du personnage de la mère dans Pedigree), Simenon a beaucoup parlé des maladies, de leurs symptômes, toujours décrits avec la dernière précision, et de leurs effets sur le comporteme­nt des personnage­s. Le rhume est moins grave. Il n’alite pas, il n’est pas une coupure dans la vie. L’enrhumé continue à vaquer. Pourtant, entre lui et le reste du monde, ce rhume installe une amorce de distance, comme une ouate, comme une brume. […] Dès lors, erré-je si, dans ce rhume, en le comparant, révérence gardée, à ce bref sursaut dans l’océan que nous montre la télévision à chaque essai nucléaire, si, dans ce rhume, dis-je, je vois le signe avant-coureur, le premier symptôme, le remous à la surface ou même l’approche de ce mal plus redoutable, de ce malaise des profondeur­s, de cette inaptitude à vivre, de cette angoisse, de cette anxiété dont pâtissent beaucoup des personnage­s de Simenon, solitaires, enfermés dans leur solitude, aventurés dans un monde dont ils n’ont pas les clés, ne sachant comment s’expliquer ou s’expliquant à grand-peine. (Une expression revient plusieurs fois : “c’était plus compliqué”.) Ces villes, ces rues, ces paysages ruraux ou exotiques que Simenon recrée chaque fois avec tant de précision, on a parfois l’impression que, par un curieux phénomène, il est le seul, lui, Simenon (et le lecteur) à les voir tandis que ses personnage­s, eux, même s’ils en subissent l’influence, ne les voient pas, qu’ils les traversent ou les longent sans y trouver secours ni issue, ou même ne les cherchant pas, volonté abolie, passion éteinte, pour aboutir enfin, quand tombe la nuit, aux seuls amis de tous les hommes, les patrons de bars et les putes.

Ce n’est pas, s’entend, qu’un des aspects de l’univers de Simenon. Dans d’autres de ses romans, nous verrons des hommes, des femmes, moins radicaleme­nt renvoyés à leur expression primitive et une volonté qui reprend quelques-uns de ses pouvoirs (souvent, il est vrai, pour des entêtement­s de chèvre).

Là, en revanche, où cette volonté réapparaît avec force, c’est chez Simenon lui-même, dans cette coulée continue de sa création, dans la musculatur­e qui la soulève, dans ce style qui marche droit devant lui et, visiblemen­t, sans se préoccuper si, de temps en temps, il trébuche. De ce style, le plus simple est de dire qu’il est imperturba­ble. »

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