L’édito de Baptiste Liger
Le livre, un objet de dépenses et de recettes
Le pays de L’Avare n’est pas radin en dictons sur le sujet – parmi les plus célèbres, citons « L’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue », « On paie volontiers avec l’argent d’autrui », « L’argent est plat pour l’amasser », etc. Le paradoxe, c’est que, contrairement aux pays anglo-saxons, il y a malgré tout dans l’Hexagone une gêne, un malaise, autour de la question pécuniaire, financière, monétaire. Bref, celle des sous. Cela peut paraître d’autant plus surprenant que, chaque jour, les informations nous bombardent de chiffres – parfois à la limite de l’abstraction – que, pour beaucoup, nous avons du mal à recontextualiser et qui sont source (souvent à juste titre) de diverses indignations ou incompréhensions. Attention, cet éditorial n’est pas celui du magazine Challenges ou Capital, mais bel et bien de Lire ! Car, oui, nous avons décidé ce mois-ci de nous emparer de ce thème non pas sous l’angle de l’histoire littéraire ( ou de conseils d’investissement !), mais d’un point de vue bien concret, dans le cadre d’une publication : un livre est un objet de dépenses et de recettes, et ce avant même sa parution. D’où cet intitulé de dossier, volontairement parodique : « Gagner de l’argent en écrivant » avec la mention « ou ne pas en perdre » ! Lorsqu’on se lance dans l’écriture, on oublie parfois que nombre de démarches représentent un montant non négligeable avec un retour sur investissement plus qu’aléatoire, même en cas de parution… Les idées reçues et clichés fleurissent aussi entre autres sur la répartition du prix d’un livre et la justification des parts – pourquoi l’auteur touche-t-il beaucoup moins que le détaillant ou l’éditeur ? Que représente vraiment la fabrication sur un ouvrage à 15 euros ? Est- il vrai que la plupart des titres disponibles dans les librairies paraissent à perte pour les éditeurs ?
À l’heure où Livre Paris va battre son plein du 20 au 23 mars, la voix de tous les professionnels de l’écriture risque de se faire entendre. Et pour cause : ils sont de moins en moins à vivre de leur plume – entre 5 % et 10 %, selon les études, et avec d’énormes disparités. Les motifs avancés sont multiples (et parfois contestables, dans le détail), de la baisse du nombre de lecteurs à la concurrence d’autres activités culturelles, en passant par la surproduction éditoriale, la focalisation du marché sur les seules têtes de gondole, le prix du livre en grand format perçu comme prohibitif, etc. Mais les revenus des écrivains ne se résument pas aux seuls pourcentages ou à-valoir : il existe des bourses, résidences, interventions rémunérées, sans compter la possibilité de remporter des prix (certes inégalement dotés). Aussi, outre-Atlantique, le livre (ou, tout du moins, le roman ou la BD) est de plus en plus considéré comme une carte de visite, un produit d’appel à décliner par la suite, avec des montants à récupérer bien plus considérables… Il ne faut également pas oublier tous ceux dont les ouvrages ne font pas recette et qui pratiquent l’écriture au quotidien dans leur activité professionnelle – rédacteurs, journalistes, collaborateurs de plume…
Bien sûr, et c’est l’essentiel, la valeur d’une oeuvre ne saurait être réduite à ses seules ventes et à sa rentabilité immédiate. Mais ces paramètres ont une influence sur la vie des créateurs et, parfois plus ou moins directement, sur le contenu ou la forme de leurs ouvrages. La vitalité d’une culture passe aussi par ces paramètres fondamentaux, qui mettent trop souvent de côté le fossé entre l’offre (les titres proposés) et la demande (les attentes des lecteurs, aujourd’hui – certes parfois conditionnées). Qu’on le veuille ou non, et même si on doit le relativiser, l’argent reste « le nerf de la guerre ». Il trouve parfois des symboles inattendus, montrant toute notre schizophrénie. Ainsi, l’un des plus gros succès internationaux de ces trente dernières années – paru en 1997 et écoulé aujourd’hui à près de 30 millions d’exemplaires sur le globe ! – n’est autre que le manuel Père riche, père pauvre de Robert Kiyosaki (publié en France aux éditions Un Monde différent), qui nous propose de développer notre intelligence financière à travers toute une série de conseils. Un titre aux airs de phénomène, gagnant chaque mois de nombreux lecteurs, et généralement classé dans les librairies non pas dans le rayon « économie », mais en… développement personnel !