LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
Parti trop tôt, Roberto Bolaño restera à jamais l’un des écrivains latino-américains les plus brillants de sa génération. Poète avant tout, il laisse une oeuvre dense, à l’image de sa personnalité.
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OEUVRES COMPLÈTES I
PAR ROBERTO BOLAÑO, TRADUIT DE L’ESPAGNOL (CHILI) PAR ROBERT AMUTIO ET JEAN-MARIE SAINT-LU 1 248 P., L’OLIVIER, 25 €
Figure majeure de la littérature contemporaine, classique instantané dont les émules ne se comptent plus et dont l’oeuvre se propage chaque jour un peu plus, Roberto Bolaño (1953-2003) est culte. Le bonhomme a déboulé sur la scène littéraire espagnole dans les années 1990 avec La Littérature nazie en Amérique et Les Détectives sauvages. En France, les éditions Christian Bourgois se sont d’abord chargées d’importer massivement les livres du natif de Santiago du Chili, dont elles proposaient les premières traductions ornées de tableaux de son compatriote, le peintre Roberto Matta.
Disparu il y a plus de quinze ans d’une maladie hépatique, Bolaño est aujourd’hui plus présent que jamais. Près d’une dizaine de livres inédits ont été publiés depuis le décès du Chilien, dont le monumental 2666 qu’il corrigeait encore quelques jours avant sa mort prématurée, à 50 ans. La revue Europe lui a consacré il y a peu un remarquable numéro comprenant des hommages d’Enrique Vila-Matas ou de Javier Cercas. Et voici que les Éditions de l’Olivier proposent le premier tome d’une série de six volumes d’ OEuvres complètes. L’occasion de se promener dans la poésie de celui qui attendait la pluie et la beauté, chantait les rues de Barcelone et de Mexico, saluait amis et écrivains chers, tenait bon grâce au jazz, à la bière et aux cafés crème. L’occasion, aussi, de rouvrir cet étrange roman noir en forme de médiation sur le mal et la création qu’est Étoile distante. Un retour dans le Chili de Salvador Allende, juste avant le coup d’État de Pinochet. Le récit d’un narrateur qui n’a pas encore 20 ans quand il fréquente l’atelier de poésie de Juan Stein, le Juif bolchevik dans la capitale du Sud. Et qu’il s’interroge sur l’élégant et autodidacte Alberto Ruiz-Tagle qui s’appelait en réalité Carlos Wieder, et sur le pouvoir salvateur de la littérature…
Court roman qui transporte dans le Mexico de septembre 1968, Amuleto est une « histoire de terreur », l’histoire « d’un crime atroce », narrée par Auxilio Lacouture, Uruguayenne de Montevideo qui resta enfermée treize jours dans les toilettes de la faculté de philosophie et lettres afin d’échapper à la police. Quant aux quatorze récits d’Appels téléphoniques, fragments de biographies, d’autobiographie et d’autofiction, ils sont comme autant de rampes de lancement au chef-d’oeuvre que sont Les Détectives sauvages, qui figurera dans un prochain tome.
Le devoir de l’écrivain
En 2002, quand on lui posait la question « Qui est Roberto Bolaño selon Bolaño ? », l’intéressé répondait ceci : « De Bolaño, on a dit à peu près autant de choses qu’on en a écrites. Qu’il cultive le roman noir, que c’est un héritier du boom, qu’il a du succès, qu’il est le meilleur représentant du roman latino-américain de sa génération, que c’est un polémiste à cause de ses critiques acerbes des écrivains chiliens [...]. Je ne sais pas qui je suis, et ça m’est égal. Mais je sais ce que je fais et surtout je sais ce que je ne fais pas et ne ferai jamais. L’unique devoir des écrivains est d’écrire bien et, si possible, mieux que bien, de tendre vers l’excellence. Après, en tant qu’individus, les écrivains peuvent bien faire ce qu’ils veulent, je m’en moque. Libres à eux d’être collectionneurs de canettes de bière, passionnés de football, chiens de compagnie de la première dame ou héroïnomanes. »