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Dans les poches

- ÉRIC LIBIOT

Que racontent les écrivains si ce n’est leur propre vie. Elle se cache dans le regard des personnage­s d’un roman, à travers les emballemen­ts d’un échange épistolair­e, dans la frontière ténue entre vérité et fiction d’un témoignage, dans les enthousias­mes critiques… Il n’y est plus question de genres littéraire­s mais d’un imaginaire intime qui, tout à coup, largue les amarres pour toucher le plus grand nombre. Un étrange paradoxe qui fait la beauté de la littératur­e – et de l’art en général, ne soyons pas sectaires. Ainsi Albert Camus écrit-il à Maria Casarès le samedi 8 juillet 1944 : « Je relis ce matin cette lettre et j’hésite à te l’envoyer. Mais après tout, je suppose qu’elle me ressemble. On est forcé d’être ce qu’on est. » La veille, l’écrivain faisait état de son désarroi face à cet amour pour la comédienne quand lui-même croyait n’être « plus bon à rien ». Albert et Maria se sont rencontrés en 1944, se sont aimés, séparés, puis ils se sont retrouvés en 1948, et encore aimés jusqu’à la mort de l’écrivain en 1960, alors toujours en couple avec sa femme Francine. Cette longue et grandiose Correspond­ance (865 lettres) entre Albert Camus et Maria Casarès, patiemment mise en ordre par Béatrice Vaillant et présentée par Catherine Camus, fille de, raconte une passion amoureuse, une époque, une vie de l’un, une vie de l’autre, et une vie à deux, fantasmée, vécue, espérée, rompue. L’amour d’Albert l’intellectu­el figure des pulsions déchirante­s, celui de Maria l’artiste est aussi entier que raisonné. Ces échanges sont bouleversa­nts aussi parce qu’ils racontent le bonheur et le drame. Un amour qui oscille entre lettres et le néant. Alex Marzano-Lesnevich, elle, aime plus que tout la carrière d’avocate qu’elle s’apprête à embrasser. Elle espère pouvoir connaître les criminels pour les défendre mais se connaît-elle seulement… Faroucheme­nt contre la peine de mort, elle la souhaite pourtant à Ricky Langley, arrêté pour avoir assassiné un enfant dont il abusait. Alex, héroïne et auteure de L’Empreinte, récit en forme d’enquête journalist­ique et de quête personnell­e, glisse entre sa vie et celle de Ricky et tente de dessiner les chemins tortueux, dangereux, odieux, douloureux que chacun prend au cours de son existence sans forcément l’avoir décidé. Alex a été abusée par son grand-père et ce crime la pousse à suivre les procès de Ricky Langley. L’Empreinte est un livre poignant et passionnan­t, loin des cris et de la fureur qu’on pourrait supposer, qui essaye de sécher les larmes de son auteure. Alex Marzano-Lesnevich tente de soigner ses cicatrices sans pour autant pardonner. La ligne de crête est difficile à tenir. Elle la tient à force de grandeur humaine.

Cet aveu vaut contrition éternelle : je ne connais pas François de Cornière, Marcel Schwob ni Léon Werth. Mais j’ai lu Stendhal, Simenon, Sagan ou Woolf (ouf, la porte de Lire n’était pas loin). François Bott, longtemps patron du Monde des livres et auteur lui-même, les connaît tous. Il nous est arrivé d’être jeunes est un recueil de croquis courts, esquissés d’un trait vivant et piquant sur une belle soixantain­e d’écrivains. C’est une merveille de légèreté intelligen­te. Je soupçonne même François Bott (que je n’avais pas lu… oui, je sais) de mieux écrire que certains romanciers qu’il caresse. On sent là un croqueur heureux de lire et de partager ses élans ; et ces élans habillent sûrement l’homme.

Dans le même bateau, j’ai esquivé Le Lambeau de Philippe Lançon (Folio), dont la sortie en poche a été annoncée partout sur les ondes et dans les gazettes. À lire évidemment.

HHHHI CORRESPOND­ANCE (1944-1959)

PAR ALBERT CAMUS ET MARIA CASARÈS,

1472 P., FOLIO, 15 €

HHHHI L’EMPREINTE (THE FACT OF A BODY)

PAR ALEX MARZANO-LESNEVICH,

TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR HÉLOÏSE ESQUIÉ, 456 P., 10/18, 8,40 €

HHHHI IL NOUS EST ARRIVÉ D’ÊTRE JEUNES PAR FRANÇOIS BOTT, 272 P., LA PETITE VERMILLON, 8,10 €

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