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VOIR NAPLES ET ÉCRIRE

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Même si, aujourd’hui, c’est plutôt l’image de la Mafia qu’elle évoque, l’ancienne capitale du royaume des Deux-Siciles a longtemps fait rêver les écrivains du monde entier. De Stendhal à Elena Ferrante, en passant par Oscar Wilde.

On a rarement vu sur un écran ordure plus répugnante que Ciro Di Marzio, malfrat sans âme, trafiquant obsédé par l’argent, capable de brûler vive une jeune fille pour lui arracher quelques informatio­ns. Présent des saisons 1 à 3 de la série Gomorra, ressuscité dans le film L’Immortale (2020), Di Marzio est pourtant le héros le plus connu du Naples d’aujourd’hui. À l’origine de cette bonne fortune, il y a Gomorra, l’implacable document littéraire que le journalist­e Roberto Saviano consacra à la Camorra napolitain­e en 2006. Depuis, malgré les menaces de mort de la Mafia, l’auteur a creusé le filon : un autre document ( Extra pure, 2014), deux romans, dont un qui inspira une nouvelle série ( ZeroZeroZe­ro)… Saviano a-t-il voulu modifier l’image romanesque de Naples ? Dans Piranhas (2018), où il met en scène les gangs d’enfants meurtriers de la ville, il dénonce les modèles que sont devenus pour eux les truands de cinéma ou de télévision (Tony « Scarface » Montana en particulie­r…). Par une étrange mise en abyme, il cite parmi ces modèles délétères Gennaro Savastano, le jeune parrain dont « sa » série Gomorra conte l’ascension, se reconnaiss­ant lui-même comme fournisseu­r de ce système de représenta­tion qu’il dénonce. LA SPLENDEUR ET LES BAS-FONDS Cynisme ou lucidité ? Le Naples littéraire est, en tout cas de nos jours, associé à cette image de ville mafieuse, image que mettent en avant aussi quelques passages de la saga L’Amie prodigieus­e, d’Elena Ferrante [voir page 61], au succès colossal. La Camorra, dont le nom apparaît dès 1900 dans un roman du méconnu Hugues Rebell, membre de l’école décadentis­te française, est aujourd’hui plus célèbre que le Castel dell’Ovo, le plus ancien château de Naples. Se retournera­ient-ils dans leur tombe, tous ceux qui ont chanté et aimé la beauté de cette baie surveillée par le Vésuve, ouverte sur la mer Tyrrhénien­ne et protégeant la ville ? « Nulle part la vie et la mort ne sont mises dans une si brusque et si prochaine opposition », Histoire romaine. écrivait Michelet dans son Naples, c’est cela : la fange et le sublime, les bas-fonds et la splendeur. On la chante autant qu’on la vomit, on la célèbre autant qu’on la dénonce. Son image oscille entre ces deux pôles, auxquels vinrent s’abreuver tour à tour les écrivains fascinés qui la parcourent. SE RETOURNERA­IENT-ILS DANS LEUR TOMBE, TOUS CEUX QUI ONT CHANTÉ LA BEAUTÉ DE CETTE BAIE ? F a u t - i l rappeler son destin ? Ancienneme­nt Parthénope, la cité fut fondée durant l’Antiquité par la ville voisine de Cumes, à l’emprise de laquelle elle échappa vite pour devenir l’une des cités importante­s de l’Empire romain. Byzance s’en empara, mais elle devint, dès le XIII e siècle, et pour ensuite plus de six cents ans, la capitale du royaume de Naples puis du royaume des Deux-Siciles. La science y est reine, avec la plus vieille université laïque du monde ; la musique s’en empare et en fait la ville du baroque et des castrats. En 1860, le royaume d’Italie l’annexe. Dépassée par Rome, elle connaîtra alors un déclin qui perdure aujourd’hui.

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La baie de Naples surplombée par le Vésuve.
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