Colson Whitehead, bête de concours ?
L’écrivain peut se targuer d’avoir reçu le National Book Award et le Pulitzer (deux fois). Mais les « cumulards » des prix sont-ils si rares ?
Prodige des lettres, Colson Whitehead a reçu son second prix Pulitzer de la fiction en 2020 pour Nickel Boys (dont nous avons
publié les bonnes feuilles
dans notre livret d’été).
Certes, l’histoire des jeunes
Noirs Elwood et Turner et
de leur passage dans une
maison de correction méritait un prix: les décalages temporels du dernier tiers du roman et le rebondissement final sont bien l’oeuvre d’un écrivain accompli. Avec cette deuxième couronne, Whitehead, 51 ans, rejoint le club des « cumulards du Pulitzer », aux côtés de Faulkner, Updike et Booth Tarkington. Rappelons que depuis 2017 et le doublé Pulitzer/National Book Award décroché par son livre Underground Railroad, l’Afro-Américain appartient aussi au club des auteurs ayant reçu ces deux récompenses pour un même roman – avec, outre Updike et Faulkner, Alice Walker, Bernard Malamud, Annie Proulx et Katherine Anne Porter.
Souvent comparés au Goncourt, le Pulitzer de la fiction et le National Book Award sont en fait bien différents. Lié à l’université de Columbia, le Pulitzer est décerné par un jury
de dix-neuf membres issus des médias, de l’université ou des arts, élus pour trois ans – alors que nos dix jurés Goncourt, cooptés, siègent tant qu’ils le veulent. Quant au National Book Award, donné par un panel de gens du monde du livre (libraires inclus), il peut lui aussi se cumuler : Saul Bellow l’a même eu trois fois! Le Goncourt, lui, n’est
attribué qu’une fois dans une vie – et il faut être transformiste comme Romain Gary pour le recevoir deux fois. Par ailleurs, les cumuls de récompenses sont plus rares en France, sans doute parce que la concurrence entre prix y est plus rude. C’est ainsi que Michel Tournier, favori du Goncourt 1967 pour Vendredi, vit son éditeur, Gallimard, recevoir comme une catastrophe son prix de l’Académie française : elle le privait de Goncourt ! Qu’il obtiendra finalement trois ans plus tard à l’unanimité pour Le Roi des aulnes.