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Le départ qui entraîne la fin

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P «our Andrée, ce départ est un déchiremen­t. Si quelqu’un doit en pâtir, pourquoi faut-il que ce soit elle ? — Andrée et moi nous avons la vie devant nous et la certitude que plus tard nous serons heureux : nous pouvons bien nous

sacrifier un moment à ceux qui n’ont rien, dit Pascal avec un peu d’irritation. — Elle souffrira plus que vous, dis-je. Je regardai Pascal avec hostilité :

— Elle est jeune, oui, ça veut dire qu’elle a du sang dans les veines, elle veut vivre… Pascal hocha la tête :

— C’est aussi une des raisons pour lesquelles il est sans doute préférable que nous nous séparions, dit-il.

Je fus interloqué­e.

— Je ne comprends pas, dis-je. — Sylvie, par certains côtés vous êtes en retard sur votre âge, me dit-il sur le ton qu’avait jadis l’abbé Dominique quand il me confessait. Et puis vous n’avez pas la foi : il y a des questions qui vous échappent.

— Par exemple ?

— L’intimité des fiançaille­s, ce n’est pas facile à vivre pour des chrétiens. Andrée est une vraie femme, une femme de chair. Même si nous ne cédons pas aux tentations, elles nous seront sans cesse présentes : ce genre d’obsession est en soi-même un péché.

Je me sentis rougir. Je n’avais pas prévu

cet argument et je répugnai à l’envisager. — Puisqu’Andrée est prête à prendre ce risque, ce n’est pas à vous de décider

pour elle, dis-je.

— Si, c’est à moi de la défendre contre

elle-même. Andrée est si généreuse qu’elle se damnerait par amour. — Pauvre Andrée ! tout le monde veut faire son salut. Et elle a tant envie d’être un peu heureuse sur cette terre ! — Andrée a plus que moi le sens du péché, dit Pascal. Pour une innocente histoire enfantine, je l’ai vue se ronger de remords. Si nos rapports devenaient plus ou moins troubles, elle ne se le pardonnera­it pas.

Je sentis que j’étais en train de perdre la partie ; mon angoisse me donna des forces :

— Pascal, dis-je, écoutez-moi. Je viens de passer un mois avec Andrée : elle est à bout. Physiqueme­nt, elle s’est un peu

rétablie, mais elle va de nouveau perdre l’appétit et le sommeil, elle finira par

tomber malade. Elle est à bout morale

ment : vous imaginez dans quel état elle devait être pour s’entailler le pied avec une hache ?

D’une traite, je récapitula­i ce qu’avait été la vie d’Andrée depuis cinq ans. Le déchiremen­t de sa rupture avec Bernard, sa déception en découvrant la vérité du monde dans lequel elle vivait, la lutte menée contre sa mère pour avoir le droit d’agir selon son coeur et selon sa conscience ; toutes ses victoires étaient empoisonné­es par le remords et dans le moindre de ses désirs elle soupçonnai­t un

péché. Au fur et à mesure que je parlais,

j’entrevoyai­s des abîmes qu’Andrée ne m’avait jamais dévoilés mais que certaines de ses paroles m’avaient fait pressentir. Je prenais peur et il me semblait que Pascal devait être effrayé lui aussi. — Chaque soir pendant ces cinq années, elle a souhaité mourir, dis-je. Et l’autre jour elle était si désespérée qu’elle m’a dit : Dieu est contre moi ! »

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