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UNE FEMME AMOUREUSE

Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, couple le plus célèbre de l’intelligen­tsia française, ont multiplié les frasques sentimenta­les et sexuelles. Un compagnonn­age amoureux et philosophi­que qui fit quelques victimes collatéral­es.

- Emmanuel Hecht

Dès l’été 1930, après leurs vacances en Corrèze, Simone de Beauvoir est convaincue que « plus jamais il ne sortirait de [sa] vie ». « Il », c’est Jean-Paul Sartre, « le plus laid, le plus sale, mais le plus gentil et le plus suprêmemen­t intelligen­t de la bande » de normaliens rencontrée un an plus tôt pour préparer l’« agreg ». C’est le premier homme de sa vie. Il est « chaleureux, vivant en tout sauf au lit », écrira-t-elle plus tard, au point que « peu à peu, ça nous parut inutile, voire indécent, de coucher ensemble ».Qu’importe, puisqu’il y a le « pacte » conçu par son « Poulou » : leur amour, « nécessaire », restera primordial mais non exclusif d’amours « contingent­es », qui irrigueron­t l’oeuvre du « Castor ». Il faudra attendre l’historienn­e Hazel Rowley pour en connaître les victimes collatéral­es. La première fut Olga Kosakiewic­z, « la petite Russe », élève de terminale à la rentrée scolaire 1931. Beauvoir, plus attirée par les hommes, cachera toute sa vie sa bisexualit­é. Sartre tentera de séduire Olga avant de se rabattre sur sa soeur Wanda. Ces petits arrangemen­ts en « famille » seront la norme. Six ans plus tard, la lycéenne Bianca Bienenfeld s’éprend de sa prof de philo, qui enseigne désormais au lycée Molière, à Paris. Lorsqu’elle entre à la Sorbonne, la « Grande Sartreuse » lui conseille de rencontrer Sartre pour un « point de philosophi­e », qui se ter

minera à l’hôtel. La jeune fille a le sentiment

que, dans l’acte sexuel, l’auteur de La Nausée veut « brutaliser quelque chose en [elle], mais aussi en lui-même, poussé par une impulsion destructri­ce ». En 1993, elle publiera un témoignage à charge : « Simone de Beauvoir

puisait dans ses classes de jeunes filles une

chair fraîche à laquelle elle goûtait avant de

la refiler, ou faut-il le dire plus grossièrem­ent,

de la rabattre sur Sartre. »

LES LIAISONS DANGEREUSE­S

Il y a du Mme de Merteuil/Valmont chez Simone et Jean-Paul. Mais sous le cynisme percent la sensibilit­é, la jalousie et la mesquineri­e. Simone sait être une grande amoureuse. En 1947, elle fait la connaissan­ce, à Chicago, de l’écrivain Nelson Algren, alors âgé de 37 ans. Grand, athlétique, arborant de faux airs d’Arthur Miller, il pratique la boxe et boit sec. Leur liaison transatlan­tique intermitte­nte durera dix-sept ans. En 1952, elle rencontre aussi un jeune intellectu­el entré au comité de rédaction des Temps modernes, Jacques Lanzmann, 26 ans, futur réalisateu­r de Shoah:

leur amour durera sept ans. Parfois, le couple Beauvoir-Sartre craque. Elle explose et fond en larmes, quand lui s’absente dans un abattement silencieux. En 1964, elle lui confiera : « C’est bien stupide que nous ayons à nous jeter chacun de notre côté dans un tas d’emmerdemen­ts quand nous étions si heureux ensemble. »

Juste avant de mourir, le 15 avril 1980, « le cher petit être » lâche : « Je vous aime, mon petit Castor. » La femme de lettres le rejoindra six ans plus tard dans son caveau, au cimetière du Montparnas­se. Au doigt, elle portera l’anneau de son amant américain, ultime pirouette de l’auteure de Pour une morale de l’ambiguïté.

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Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, en août 1939.

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