LES ÉCHAPPÉES POLITIQUES
Opposée à la droite et à la domination bourgeoise, elle a aussi défendu la cause communiste et anticolonialiste. Avec toujours pour horizon son combat de prédilection, celui pour le droit et la liberté des femmes.
Simone et Jean-Paul sont assis dans un bateau, tout de blanc vêtus, turban compris. Debout, derrière eux, à la barre et puro au bec, le barbudo Castro qui les a emmenés à Ciénaga de Zapata, la plus grande zone humide des Caraïbes: un millier d’espèces de plantes, deux cents d’oiseaux, trente de reptiles. Quelques jours plus tard, ils assisteront au meeting où le photographe Alberto Korda prendra le fameux cliché de Guevara coiffé de son béret. Il s’en est fallu de peu pour que le Che, la « Grande Sartreuse » et son « cher petit vous autre » réunis n’ornent les teeshirts du monde entier. Nous sommes en mars 1960 et Sartre fait un reportage pour France Soir : seize articles où il comparera le Lider Maximo à Jean de la Croix, et son compère argentin à « l’homme le plus parfait de notre époque ». Le titre de ce feuilleton : « Ouragan sur le sucre ».
« À GAUCHE, TOUTE ! »
En politique, Beauvoir a une seule ligne:
« À gauche, toute ! » « La vérité est une, l’erreur multiple. Ce n’est pas un hasard si la droite professe le pluralisme », assène la prof de philo. La politique n’a jamais été la
tasse de thé de l’ex-jeune fille de la moyenne
bourgeoisie issue des « deux France », père voltairien et mère catholique. La guerre civile espagnole, qui avait vu s’étriper la gauche et la droite intellectuelles – Brasillach, Bernanos,
Hemingway, Malraux, Orwell… –, lui a été
indifférente. L’Occupation l’a surtout marquée pour les désagréments matériels. Son Goncourt (1954), Les Mandarins, traitera certes de l’échec politique du programme de la Résistance et du retour de la « domination bourgeoise ». Mais il s’agit d’abord d’un texte autobiographique sur l’entre-soi germanopratin, d’où émergent les personnages Henri Perron et Robert Dubreuilh, inspirés respectivement par Camus et Sartre.
« Compagne de route », elle l’est d’abord de son « cher petit homme » (1,53 mètre) dans ses tribulations en URSS et dans le tiers-monde. Elle soutient le FLN pendant la guerre d’Algérie, Hanoï contre la politique américaine au Vietnam, les manifestants de Mai-68. Plus Sartre a la vue qui baisse, plus il s’enferre dans le gauchisme. Il soutient le groupuscule maoïste La Gauche prolétarienne, et vend à la criée La Cause du peuple. Il parraine le quotidien Libération première version. Et justifie l’attentat palestinien contre les athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich de 1972. Il rend visite en prison, en décembre 1974, au chef de la Fraction armée rouge Andreas Baader, avant de passer sous la coupe du maoïste furieux Benny Lévy, qui bientôt troquera le Petit Livre rouge pour le Talmud.
ENGAGEMENT ORIGINEL
Simone de Beauvoir suit-elle encore véritablement Sartre ? Avec le temps, elle est revenue à son engagement originel : le féminisme. Le 5 avril 1971, Le Nouvel Observateur et Le Monde publient « la liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste “Je me suis fait avorter” ». Il ne s’agit pas d’encourager les femmes à choisir l’avortement, mais de « leur permettre de subir cette opération dans les meilleures conditions physiques et morales ». Parmi les signataires, Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Jeanne Moreau, Marina
Vlady. La boucle est bouclée. Vingt-deux ans plus tôt, elle provoquait un scandale en publiant Le Deuxième Sexe. Cet hymne à la liberté des femmes dénonçait les poncifs sur l’éternel féminin et s’attardait sur la « sensibilité vaginale » et le « spasme clitoridien », au grand dam de François Mauriac s’étranglant contre une telle « ignominie ».