LETTRES À ALGREN, TOME III DU « DEUXIÈME SEXE » ?
Réquisitoire rigoureux contre l’oppression masculine, Le Deuxième Sexe a été écrit par quelqu’un qui ne s’est jamais senti inférieur ou en conflit avec les hommes.
« Au départ, les hommes furent pour moi des camarades et non des adversaires »,
lit-on dans Mémoires d’une jeune fille rangée. Ce que confirme une lettre à Algren : « Jamais je n’ai souffert d’être une femme, parfois même je m’en félicite »
(2 janvier 1948). Contrairement aux insinuations de certains détracteurs, Le Deuxième Sexe n’est donc pas le livre d’une femme aigrie, délaissée ou sexuellement frustrée. C’est plutôt l’inverse puisque sa relation avec Nelson Algren est contemporaine de sa rédaction. À lire la correspondance avec l’amant américain, parue en 1997, on est surpris de la voir s’exprimer avec l’ingénuité d’une adolescente énamourée et ce d’autant plus qu’Algren est d’un caractère plutôt « machiste ». Vénus tout entière à sa proie attachée, c’est comme si elle faisait l’expérience paradoxale d’une aliénation volontaire au moment même où elle écrit pour l’émancipation des femmes. Julia Kristeva a proposé de voir dans ces lettres un tome III du Deuxième Sexe, où se dévoilerait le moteur secret qui animerait profondément la philosophe. Elle se fera même enterrer avec la grosse bague en argent mexicaine qu’Algren lui avait offerte. Moins sans doute une réhabilitation post mortem du mariage honni que le signe concédé que cet homme avait particulièrement compté.