L’EMPIRE DES SIGNES
Muriel Barbery nous entraîne sur les pas de Rose, invitée à se rendre au Japon à la mort de son père. La découverte de ce pays, de ses paysages, sera l’occasion pour l’héroïne d’une rencontre avec elle-même.
Certains romans prétendent nous expliquer la société, la politique, le monde, traversés qu’ils sont par des courants d’air, passant à côté des choses essentielles. Celui de Muriel Barbery est de ceux dont le projet est modeste en apparence, aussi discret qu’un peu de thé dans un bol en raku ou qu’une feuille d’érable rouge découpée sur un jour d’automne traversé de mélancolie. Une rose seule sème pourtant une poignée de questions dont aucun de nous ne peut faire l’économie. Rose, une botaniste française, apprend que son père, un Japonais jusqu’alors inconnu, vient de mourir. Elle doit se rendre à Kyoto pour prendre connaissance du testament.
C’est le vertige. Confrontée au pays de l’étrangeté, redevenue soudain analphabète face aux idéogrammes et à sa souffrance, elle vacille. Sayoko, une mystérieuse femme de chambre, Paul, l’assistant empathique, un chauffeur, une Anglaise sage, un poète sont autant de parents de substitution. Ils la guident dans le labyrinthe, de temple en jardin, de maison de thé en gargote et en cimetière, à la rencontre de la culture de son père, de l’autre côté du miroir. Solitude, perception de l’inintelligible mais aussi de la beauté universelle, appartenance au socle de ce qui nous rend humain, c’est-à-dire l’ontologique opacité de nos origines, ce récit joue sur nos peurs et nos défis intimes. Haru, originaire des montagnes de Takayama, enfant d’un torrent glacé devenu marchand d’art audacieux et charismatique, a disparu avec ses mystères. Il lègue à sa fille un chemin de possibles pavé de mousses et de jardins zen patiemment ratissés, de vieilles lanternes, de dissimulations, de devinettes. Ce n’est pas un hasard si le chemin est déroulé au milieu des temples. Rose entreprend le pèlerinage que nous faisons tous un jour, à la recherche de nous-même. Ce Kyoto-là est un théâtre où se croisent et s’aiment ceux qui ont souffert, le hortus conclusus des cloîtres médiévaux, où la terre, les axes, les horizons sont la représentation des données spirituelles du monde et, partant de là, du passage énigmatique de l’homme sur la Terre. Tel un lavis onirique de l’artiste chinois Shitao dont Rose serait l’auteure, ce récit de la construction de soi se déploie avec grâce, dans cet empire des signes dont Barthes nous dit qu’il est le pays de l’écriture. Rythmé par la poésie sensible d’Issa et le langage des fleurs, parmi les arbres, les pierres et la présence des esprits, Une rose seule est un petit miracle qui chuchotera à l’oreille de chacun de nous.