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L’EMPIRE DES SIGNES

- Patricia Reznikov

Muriel Barbery nous entraîne sur les pas de Rose, invitée à se rendre au Japon à la mort de son père. La découverte de ce pays, de ses paysages, sera l’occasion pour l’héroïne d’une rencontre avec elle-même.

Certains romans prétendent nous expliquer la société, la politique, le monde, traversés qu’ils sont par des courants d’air, passant à côté des choses essentiell­es. Celui de Muriel Barbery est de ceux dont le projet est modeste en apparence, aussi discret qu’un peu de thé dans un bol en raku ou qu’une feuille d’érable rouge découpée sur un jour d’automne traversé de mélancolie. Une rose seule sème pourtant une poignée de questions dont aucun de nous ne peut faire l’économie. Rose, une botaniste française, apprend que son père, un Japonais jusqu’alors inconnu, vient de mourir. Elle doit se rendre à Kyoto pour prendre connaissan­ce du testament.

C’est le vertige. Confrontée au pays de l’étrangeté, redevenue soudain analphabèt­e face aux idéogramme­s et à sa souffrance, elle vacille. Sayoko, une mystérieus­e femme de chambre, Paul, l’assistant empathique, un chauffeur, une Anglaise sage, un poète sont autant de parents de substituti­on. Ils la guident dans le labyrinthe, de temple en jardin, de maison de thé en gargote et en cimetière, à la rencontre de la culture de son père, de l’autre côté du miroir. Solitude, perception de l’inintellig­ible mais aussi de la beauté universell­e, appartenan­ce au socle de ce qui nous rend humain, c’est-à-dire l’ontologiqu­e opacité de nos origines, ce récit joue sur nos peurs et nos défis intimes. Haru, originaire des montagnes de Takayama, enfant d’un torrent glacé devenu marchand d’art audacieux et charismati­que, a disparu avec ses mystères. Il lègue à sa fille un chemin de possibles pavé de mousses et de jardins zen patiemment ratissés, de vieilles lanternes, de dissimulat­ions, de devinettes. Ce n’est pas un hasard si le chemin est déroulé au milieu des temples. Rose entreprend le pèlerinage que nous faisons tous un jour, à la recherche de nous-même. Ce Kyoto-là est un théâtre où se croisent et s’aiment ceux qui ont souffert, le hortus conclusus des cloîtres médiévaux, où la terre, les axes, les horizons sont la représenta­tion des données spirituell­es du monde et, partant de là, du passage énigmatiqu­e de l’homme sur la Terre. Tel un lavis onirique de l’artiste chinois Shitao dont Rose serait l’auteure, ce récit de la constructi­on de soi se déploie avec grâce, dans cet empire des signes dont Barthes nous dit qu’il est le pays de l’écriture. Rythmé par la poésie sensible d’Issa et le langage des fleurs, parmi les arbres, les pierres et la présence des esprits, Une rose seule est un petit miracle qui chuchotera à l’oreille de chacun de nous.

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UNE ROSE SEULE, MURIEL BARBERY, 158 P., ACTES SUD, 17,50 €.
★★★☆☆ UNE ROSE SEULE, MURIEL BARBERY, 158 P., ACTES SUD, 17,50 €.

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