Lire

TROUBLE-FÊTE AU VILLAGE

Avec ce huis clos rural suffocant, Laurent Mauvignier signe l’un des romans marquants de cette rentrée littéraire.

- Alexis Brocas

Est-ce un roman noir caché sous une couverture blanche – comme se le demanderon­t les lecteurs lorsque la violence s’invitera soudain dans ses pages ? Ou un exercice de virtuosité formelle déployé dans un cadre rural et criminel? Comme bien des livres de Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit est un monde en soi, qui obéit à ses règles propres. Le temps y est une glaise, compactée ou étirée par l’auteur selon les besoins de l’action. Les voix des protagonis­tes s’y succèdent et se croisent, parfois sans s’entendre. À la fin, certains secrets ne seront qu’à moitié révélés et un mystère restera tu, mais cela n’est pas grave : le roman est assez généreux en détails pour que l’on puisse combler ces blancs à sa guise.

Histoires de la nuit est bien un texte portant la griffe Minuit – marqué par un travail sur la langue dans la lignée du nouveau roman qui pourrait n’être que sa propre fin. Et, en même temps, un de ces thrillers qui se lisent au galop, comme si ses personnage­s étaient réels et que leur vie dépendait de notre assiduité. C’est que Mauvignier, avec ses phrases serpentine­s – car longues, collant au sujet et ondulant d’une précision à l’autre –, aura su les rendre réels à nos yeux. Comme il rend palpable le décor du hameau des Trois filles seules où se déroule l’action, ramassée sur un jour et une nuit. Voici le père, Bergogne, agriculteu­r, large carrure et lourds complexes : au début du roman, il part en ville acheter un ordinateur pour l’anniversai­re de sa femme et épancher sa frustratio­n auprès d’une prostituée. Deux gestes qui disent l’ambivalenc­e de son mariage avec Marion. Lui est né ici, elle vient d’ailleurs et semble plus mystérieus­e, avec cette beauté qui paraît l’encombrer. De toute évidence, Marion a un passé. Elle a aussi une fille, Ida, dont on se dit vite qu’elle doit être le ciment de ce couple mal assorti. Lequel héberge par ailleurs une artiste, Christine, dont les oeuvres auront leur part à jouer quand le roman mutera, et passera de la peinture d’une famille rurale croquée sur le vif à un sidérant huis clos sous tension avec armes blanches et armes à feu.

UNE RURALITÉ ÉTERNELLE

Impossible d’évoquer cet épisode sans tout révéler de ce roman de 640 pages, dont 500 de suspense. Mais il est permis d’évoquer ce qui en ressort : la peinture de deux France et de deux façons d’être au monde. L’une qui s’inscrit dans la continuité d’une ruralité éternelle tout en s’efforçant de s’accommoder de la modernité – le grand corps maladroit de Bergogne dit les difficulté­s de cette position. Et une autre, déracinée, soumise aux injonction­s reptilienn­es de l’ego et aux injonction­s matérialis­tes de l’époque. Au-delà de la fracture, on retiendra le talent de Laurent Mauvignier pour réconcilie­r le noir et le blanc, la recherche formelle et le suspense, et pétrir tous les matériaux, qu’ils soient réputés nobles ou triviaux, pour forger ce récit de fait divers architectu­ré comme une cathédrale.

 ??  ??
 ??  ?? ★★★★★
HISTOIRES DE LA NUIT, LAURENT MAUVIGNIER, 640 P., MINUIT,
24 €
★★★★★ HISTOIRES DE LA NUIT, LAURENT MAUVIGNIER, 640 P., MINUIT, 24 €

Newspapers in French

Newspapers from France