Chair payée
Chez Lola Lafon et Éric Laurrent, les femmes se brûlent les ailes sous les feux de la rampe.
Le corps des femmes, son exploitation. Deux romans et deux regards nous y ramènent en cette rentrée. Lola Lafon nous conte une histoire de petites danseuses de 13 ans. Chavirer se déroule dans les années 1980. Cléo vit à Fontenay, rêve de scène et pratique la danse. Une femme charmante qui assiste aux cours lui promet la bourse d’une fondation imaginaire et la livre à un réseau d’hommes de pouvoir où, moyennant des déjeuners chics et des caresses, on lui fait miroiter un statut d’élue. Bientôt, elle devient recruteuse à son tour. Son quotidien est alors fait de répétitions et de mensonges, de glissements vers la honte, son corps poussé dans ses retranchements, ses rêves devenant l’instrument de la domination. Des décennies plus tard, alors qu’elle a vécu la vie d’une danseuse de revue, Cléo n’en finit pas de s’interroger sur sa culpabilité d’autrefois et cette fameuse zone grise du consentement. Un appel à témoins tente de faire la lumière sur cette chaîne de responsabilités, ce système de recrutement entre les victimes elles-mêmes, toutes issues de familles dysfonctionnelles dans des banlieues populaires. Un roman-enquête, compassionnel et incarné.
GLOIRE ÉPHÉMÈRE
Dans Une fille de rêve, Éric Laurrent nous déroule la vie fantasmée de Nicky Soxy, une jeune femme dont les rêves de reconnaissance passent par les revues de charme, la chirurgie esthétique, les émissions de divertissement, la prostitution. Ce sont les années Bains Douches, celles de La Cinq de Berlusconi et de la chute du Mur. L’impétrante a pour amant un critique en vue de Libération et vit dans un triangle constitué par la rue Béranger, Saint-Germain-des-Prés et la rue du Bourg-l’Abbé. Puis vient la chute. La Vénus de Botticelli devient celle de Willendorf. Elle vit un ultime amour avec un amant atteint du sida. Le lecteur attentif retrouvera des références à des romans précédents, une intertextualité efficace, une écriture élégante, de l’humour. Nicky, papillon métamorphosé pour plaire, est traitée comme un objet esthétique, ce qu’elle est. La lecture du roman sera différente, sans doute, selon qu’on est un homme ou une femme. Faut-il avoir nécessairement, comme Balzac, de l’empathie pour ces courtisanes, ces scintillantes et tristes libellules ?