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Par la crasse de Dieu

Avec un goût prononcé pour le malaise et un talent littéraire indéniable, Marieke Lucas Rijneveld prend un malin plaisir à secouer la littératur­e mondiale.

- Léonard Desbrières

Prenez garde quand vous implorez les dieux. Vos voeux les plus coupables pourraient bien être exaucés. C’est le point de départ de Qui sème le vent, premier roman choc de la révélation littéraire mondiale de la rentrée : l’écrivain néerlandai­s Marieke

Lucas Rijneveld. Alors que Jas, la narratrice de son perturbant récit, se voit injustemen­t privée de sortie et regarde son frère

Matthies s’éloigner fièrement, elle conjure

le Tout-Puissant, folle de rage, de préci

piter sa mort. Un souhait funeste qu’elle

regrettera toute sa vie. Quelques instants plus tard, Matthies est emporté dans un tragique accident.

La suite n’est que le long râle d’une famille endeuillée, anéantie par la douleur et la colère. Dans un milieu rural où les émotions doivent être enfouies pour ne pas empiéter sur le dur travail de la ferme, les non-dits s’accumulent et rongent peu

à peu la cellule familiale. Jas surtout, perd

pied dans un monde qui l’a précipitée sans coup férir dans l’âge adulte. Coincée entre, d’un côté, ses désirs naissants et sa soif de liberté et, de l’autre, un quotidien de labeur et les carcans religieux qui contraigne­nt les siens, elle va essayer tant bien que mal de surmonter sa culpabilit­é.

ENGAGEMENT­S ET COMBAT CONTRE LA NORMALITÉ

Avec ce livre et à seulement 29 ans, Marieke Lucas Rijneveld est d’ores et déjà considéré comme la nouvelle étoile de la littératur­e mondiale. Sans pour autant jamais renier ses engagement­s et son combat contre la normalité. Fille de naissance, il a souhaité à l’adolescenc­e ajouter le second prénom Lucas à son patronyme pour signifier au monde sa non-binarité et son intention de ne pas rentrer dans les carcans imposés par nos sociétés. Né dans une famille dévote jusqu’à la bigoterie, il a, comme sa narratrice, été élevé dans la peur de la punition divine et a connu la douleur inexprimab­le de perdre un frère alors qu’il n’était qu’un enfant. Son premier roman est de ceux qui sont autobiogra­phiques jusqu’au malaise, de ceux qui, sans pudeur, sans gêne et sans égard pour autrui mettent des mots durs, âpres, sales sur les tabous les plus enfouis. À tel point que, plus d’un an après la publicatio­n, sa mère est, parmi ses proches, la seule à avoir souhaité se plonger dans le livre.

Qui sème le vent est dérangé et dérangeant, porté par une voix enfantine aussi cruelle que lucide. Dans un décor glaçant, Marieke Lucas Rijneveld déploie une écriture organique et corrosive, explorant le roman d’apprentiss­age dans ce qu’il a de plus salissant. Une entrée en littératur­e fracassant­e.

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 ??  ?? ★★★★★ QUI SÈME LE VENT (DE AVOND IS ONGEMAK), MARIEKE LUCAS RIJNEVELD, TRADUIT DU NÉERLANDAI­S PAR DANIEL CUNIN, 288 P., BUCHET-CHASTEL, 20 €
★★★★★ QUI SÈME LE VENT (DE AVOND IS ONGEMAK), MARIEKE LUCAS RIJNEVELD, TRADUIT DU NÉERLANDAI­S PAR DANIEL CUNIN, 288 P., BUCHET-CHASTEL, 20 €

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