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Cherokee, toujours

Tiffany McDaniel signe un beau roman d’initiation au style poétique sis dans les contrefort­s des Appalches. Avec une jeune héroïne mémorable.

- Antoine Faure

Les montagnes, comme l’identité des individus, dépassent les frontières. Il en va ainsi des Appalaches, que se partagent les États-Unis et le Canada. C’est là-bas – enfin, côté amé

ricain – que vit Betty. « J’avais les yeux de mon père, et désormais aussi j’avais la souffrance de ma mère », constate-t-elle.

Pour survivre à sa rude vie de fille de couple

mixte dans l’Ohio des années 1960, cette adolescent­e écrit les drames de la famille Carpenter d’une plume lyrique et douloureus­e, avant de les enterrer au fond du jardin. Douée d’une rare empathie et d’un

sens aigu de l’observatio­n, elle met à nu

les âmes qui la côtoient.

Au fil des ans, Betty comprend ainsi

comment son père cherokee, dont elle est la préférée, s’emploie à enjoliver le réel à

grand renfort de bienveilla­nce et d’his

toires à dormir debout, inspirées des légendes de son peuple. Et pourquoi sa

mère dépressive, à qui elle ressemble si peu, la malmène à ce point. Inséparabl­e de ses deux soeurs aînées, elle apprend d’elles le prix à payer pour devenir une femme ; auprès de ses frères, elle découvre la candeur et la duplicité infinies des hommes. Au-delà d’une maison remplie de blessures enfouies ou à vif, l’univers de Betty s’étend à la nature luxuriante alentour et à la ville de Breathed, où les

Carpenter font figure de marginaux. Les traits typés de la « petite Indienne », comme la surnomme son père, l’y exposent aux discrimina­tions ordinaires.

Les contrefort­s des Appalaches décrits par l’Américaine Tiffany McDaniel semblent intemporel­s, tant les éléments de contexte historique sont ténus : à un téléviseur ou un camion près, il pourrait s’agir du XIXe siècle comme des années Kennedy ou Johnson. Dans l’intervalle, les mentalités locales n’auront guère évolué. Les valeurs cherokees qui imprègnent l’éducation des filles Carpenter, tels le matriarcat et l’écologie, brillent en comparaiso­n et nourrissen­t leur révolte.

L’auteure a dédié Betty à sa propre mère, dont il porte le nom. Un imposant récit d’émancipati­on à la première personne, dans une langue poétique et sincère, où le pouvoir des mots transforme son héroïne et bouleverse le lecteur.

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BETTY (ID.),
TIFFANY MCDANIEL,
TRADUIT DE L‘ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR FRANÇOIS HAPPE, 720 P., GALLMEISTE­R, 26,40 €
★★★★☆ BETTY (ID.), TIFFANY MCDANIEL, TRADUIT DE L‘ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR FRANÇOIS HAPPE, 720 P., GALLMEISTE­R, 26,40 €

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