Cherokee, toujours
Tiffany McDaniel signe un beau roman d’initiation au style poétique sis dans les contreforts des Appalches. Avec une jeune héroïne mémorable.
Les montagnes, comme l’identité des individus, dépassent les frontières. Il en va ainsi des Appalaches, que se partagent les États-Unis et le Canada. C’est là-bas – enfin, côté amé
ricain – que vit Betty. « J’avais les yeux de mon père, et désormais aussi j’avais la souffrance de ma mère », constate-t-elle.
Pour survivre à sa rude vie de fille de couple
mixte dans l’Ohio des années 1960, cette adolescente écrit les drames de la famille Carpenter d’une plume lyrique et douloureuse, avant de les enterrer au fond du jardin. Douée d’une rare empathie et d’un
sens aigu de l’observation, elle met à nu
les âmes qui la côtoient.
Au fil des ans, Betty comprend ainsi
comment son père cherokee, dont elle est la préférée, s’emploie à enjoliver le réel à
grand renfort de bienveillance et d’his
toires à dormir debout, inspirées des légendes de son peuple. Et pourquoi sa
mère dépressive, à qui elle ressemble si peu, la malmène à ce point. Inséparable de ses deux soeurs aînées, elle apprend d’elles le prix à payer pour devenir une femme ; auprès de ses frères, elle découvre la candeur et la duplicité infinies des hommes. Au-delà d’une maison remplie de blessures enfouies ou à vif, l’univers de Betty s’étend à la nature luxuriante alentour et à la ville de Breathed, où les
Carpenter font figure de marginaux. Les traits typés de la « petite Indienne », comme la surnomme son père, l’y exposent aux discriminations ordinaires.
Les contreforts des Appalaches décrits par l’Américaine Tiffany McDaniel semblent intemporels, tant les éléments de contexte historique sont ténus : à un téléviseur ou un camion près, il pourrait s’agir du XIXe siècle comme des années Kennedy ou Johnson. Dans l’intervalle, les mentalités locales n’auront guère évolué. Les valeurs cherokees qui imprègnent l’éducation des filles Carpenter, tels le matriarcat et l’écologie, brillent en comparaison et nourrissent leur révolte.
L’auteure a dédié Betty à sa propre mère, dont il porte le nom. Un imposant récit d’émancipation à la première personne, dans une langue poétique et sincère, où le pouvoir des mots transforme son héroïne et bouleverse le lecteur.