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Le seigneur des anneaux

Revisitant sa dépression après la sortie des Disparus et sa relation avec son père explorée dans Une odyssée, Daniel Mendelsohn se livre à une réflexion sur la littératur­e et son métier d’écrivain.

- Pierre-Édouard Peillon

L «e cinéma est une maison pour les images qui n’ont plus de maison », selon la formule du critique Serge Daney. La lecture de Trois anneaux de Daniel Mendelsohn fait revenir à l’esprit cette parole si l’on veut bien la faire pencher du côté des livres. Cela donnerait : « La littératur­e est une maison pour les mots qui n’ont plus de maison. » Sous-titré Histoires d’exil, le nouvel essai de l’Américain déploie tout un casting d’apatrides, de réfugiés, d’égarés. Ulysse, mascotte des vagabonds, mène cette petite troupe. On pense bien évidemment au personnage d’Homère chaque fois que l’auteur mentionne, comme un refrain, la phrase: « Un étranger arrive dans une ville inconnue au terme d’un long voyage. » Mais « ce pourrait être n’importe quel homme de ce dernier demi-siècle : un Syrien un Bosniaque, un Kurde, un Angolais, un Ougandais. Quelques décennies plus tôt, c’aurait pu être un Juif, un affable citoyen d’Europe centrale. » Cet errant pourrait aussi bien être « un écrivain se lançant dans l’écriture d’un nouveau livre ». Soit Daniel Mendelsohn lui-même.

Trois anneaux est beaucoup de choses à la fois. C’est une macédoine littéraire : un peu de commentair­es de L’Odyssée, quelques fragments intimes comme lorsque l’auteur évoque une croisière effectuée avec son père peu de temps avant sa mort et, enfin, beaucoup d’érudition. Ce qui lie tous ces éléments : la difficulté d’écrire après la

publicatio­n d’un livre à l’ambition quasi écrasante. Après avoir terminé Les Disparus,

ample essai sur les victimes de la Shoah au sein de sa famille, Daniel Mendelsohn confesse avoir été frappé par une dépression. Pour en sortir, il a « commencé à caresser l’idée d’écrire quelque chose sur les classiques grecs ». L’idée de boucles narratives ou d’un récit en anneaux lui trotte dans la tête. Les plus grands livres seraient ainsi construits. L’Odyssée, bien sûr. Tout comme À la recherche du temps perdu, Télémaque...

Mais se pencher sur un sujet purement littéraire permet-il vraiment « de tourner la page sur les histoires angoissant­es » qui hantent l’écrivain ? Au contraire, voilà que celles-ci refluent. La littératur­e ne tourne

pas le dos au monde. Pourtant Mendelsohn entrevoit « les possibilit­és “optimistes” d’un récit – c’est-à-dire la possibilit­é d’insérer d’infinies digression­s dans une histoire donnée, un enchaîneme­nt potentiell­ement infini de petits cercles concentriq­ues imbriqués dans un plus grand anneau ». Au coeur de la tristesse du monde, on peut donc construire des anneaux, comme des petites maisons, pour toutes les histoires, les mots et les personnes qui n’en ont plus.

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TROIS ANNEAUX. HISTOIRES D’EXIL (HOW TO READ THE CLASSICS)
DANIEL MENDELSOHN,
TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR ISABELLE D. TAUDIÈRE, 200 P., FLAMMARION, 19 €.
★★★☆☆ TROIS ANNEAUX. HISTOIRES D’EXIL (HOW TO READ THE CLASSICS) DANIEL MENDELSOHN, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR ISABELLE D. TAUDIÈRE, 200 P., FLAMMARION, 19 €.

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