Lorca autrement
Cruels, subversifs, vibrants d’une clameur gracieuse, les poèmes en prose de Federico García Lorca éclaboussent le lecteur de leur intrigante et sombre fantaisie. Réunis pour la première fois en une sélection augmentée de nombreux textes inédits, ils donnent à voir une facette méconnue de l’oeuvre du poète disparu à l’âge de 38 ans sous les balles de la milice franquiste. « Il est impératif de tout briser pour que les dogmes se purifient, que les normes tremblent à nouveau », annonce l’écrivain dans Nageuse engloutie. Briser d’abord les liens visibles et invisibles entre les objets, afin de mieux « les laisser aller librement où ils veulent », débarrassés de leur qualité logique. Briser, aussi, les postures du poète voyageur friand de mises en scène, et celles du poète romantique qui partout voit des miroirs. Lui préférer l’ironie, la dissonance et les frottements du paradoxe dans le déploiement des images et des métaphores. « Entre un poème et un arbre se trouve la même différence qu’entre une rivière et un regard. »
Et c’est ainsi que Lorca nous mène de surprise en surprise, faisant surgir une série de tableaux vivants fourmillants où le merveilleux et la magie de l’animisme réconcilient les tourments. « Deux et deux ne font jamais quatre à Grenade », alors, invoquant le coq, la poule et la colombe, l’auteur des Complaintes gitanes n’a de cesse de s’amuser des codes et des mythes pour le plaisir de faire jaillir les étincelles d’un univers toujours plus hybride, surréaliste et grinçant.
★★★★☆
UNE COLOMBE SI CRUELLE. POÈMES EN PROSE ET AUTRES TEXTES, FEDERICO GARCÍA LORCA,
TRADUIT DE L’ESPAGNOL PAR CAROLE FILLIÈRE, 144 P., BRUNO DOUCEY, 16 €. EN LIBRAIRIES
LE 3 SEPTEMBRE.