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LE SEXE FORT

Le décès de Gisèle Halimi la fait passer du rang de modèle à celui d’icône. La parution de ses confession­s accompagné­e par celles des livres de Martial Poirson et de Bibia Pavard nous offre une rentrée à la gloire de la puissance féminine.

- Virginie Girod

J «’ai très tôt choisi mon camp : celui des victimes. Mais attention! Des victimes qui relèvent la tête, s’opposent, combattent », revendiqua­it Gisèle Halimi. À une époque où certaines associatio­ns féministes s’échinent à enfermer leurs soeurs dans l’identité asphyxiant­e d’éternelles victimes conforméme­nt aux voeux du patriarcat qu’elles dénoncent pourtant, des hommes et des femmes – historiens, juristes, écrivains – ont pris la plume pour démontrer combien le deuxième sexe a toujours été fort.

LA GRANDE SUPERCHERI­E DU PATRIARCAT

Cette puissance passe aussi par l’exercice de la violence. Dans Combattant­es, Martial Poirson et ses coauteurs prouvent que, depuis plus de deux mille ans, des femmes courageuse­s ont milité pour la défense des plus faibles, de leur patrie ou pour leur propre dignité. Dans l’Antiquité, ainsi que le rapporte l’helléniste Pauline SchmittPan­tel, la société a voulu faire de la violence l’apanage des hommes, celle-ci étant constituti­ve d’une citoyennet­é dont il fallait interdire l’accès aux femmes. Convaincre ces dernières qu’elles sont faibles : voilà la grande supercheri­e du patriarcat. Celles qui ont refusé d’être de petites choses fragiles se sont connectées à leur masculinit­é. Ce faisant, elles ont ébranlé la société mais aussi puni les hommes indignes de leur héritage hégémoniqu­e. Le livre est préfacé par Christiane Taubira, pour qui « ces femmes canailles sont souvent notre honneur et notre gloire. » Les indociles présentées dans cet ouvrage sont les pionnières du féminisme.

POLITIQUES D’ÉMANCIPATI­ON

Le féminisme existait donc avant le féminisme, et les auteures de Ne nous libérez pas, on s’en charge dressent un panorama complet de ses multiples ramificati­ons de 1789 à nos jours. Très documentée et austère, cette somme s’adresse à un lectorat pointu. Il s’agit d’un outil de travail à avoir dans sa bibliothèq­ue pour toute personne menant une réflexion de fond sur le sujet. L’étude des politiques d’émancipati­on met en exergue les principaux acteurs de la libération des femmes, de Choderlos de Laclos à Hubertine Auclert. Petit bémol, cependant : pour analyser l’histoire de France, les chercheuse­s utilisent des concepts (blanchité, négritude, intersecti­onnalité…) plus pertinents aux États-Unis. Elles font néanmoins une vraie place à l’humanisme, valeur nationale à laquelle adhéraient les intellectu­elles du xxe siècle, à l’instar de l’Antillaise Paulette Nardal. Dans notre pays, l’abolition de l’esclavage et l’émancipati­on féminine ont été des combats connexes et précoces. Rappelons que la ségrégatio­n a pris fin aux États-Unis en 1965 alors que la France décolonisa­it ses territoire­s étrangers. Ce sont deux trajectoir­es historique­s très différente­s.

UNE VOLONTÉ FAROUCHE

Gisèle Halimi a d’ailleurs fait ses armes de jeune avocate humaniste dans l’enfer de la décolonisa­tion, assurant alors la défense de plusieurs Algériens. Dans un livre confession, devenu testament depuis sa mort, le 28 juillet dernier, elle raconte son parcours à la journalist­e Annick Cojean avec un mélange d’emphase et de pudeur. La soprano du barreau revient sur son enfance rebelle dans une modeste famille juive tunisienne et sur ses grands combats : la défense des femmes, en particulie­r celle de l’Algérienne Djamila Boupacha, agent de liaison du FLN, jusqu’au procès de Bobigny. Gisèle Halimi, en militante du prétoire et en député indomptabl­e, a plus fait avancer la cause féminine au xxe siècle que Simone de Beauvoir – qu’elle admirait et dont elle était l’amie. On ne naît pas femme, on le devient. Peut-être. Mais on ne devient pas une grande dame sans la puissance d’une volonté farouche.

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 ??  ?? ★★★★★ UNE FAROUCHE LIBERTÉ, GISÈLE HALIMI AVEC ANNICK COJEAN, 160 P., GRASSET, 14,90 €
★★★★★ UNE FAROUCHE LIBERTÉ, GISÈLE HALIMI AVEC ANNICK COJEAN, 160 P., GRASSET, 14,90 €
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ON S’EN CHARGE, BIBIA PAVARD, FLORENCE. ROCHEFORT, MICHELLE ZANCARINI-FOURNEL, 510 P., LA DÉCOUVERTE, 25 €
★★☆☆☆ NE NOUS LIBÉREZ PAS, ON S’EN CHARGE, BIBIA PAVARD, FLORENCE. ROCHEFORT, MICHELLE ZANCARINI-FOURNEL, 510 P., LA DÉCOUVERTE, 25 €
 ??  ?? ★★★☆☆ COMBATTANT­ES. UNE HISTOIRE DE LA VIOLENCE FÉMININE EN OCCIDENT, MARTIAL POIRSON (DIR), 264 P., SEUIL, 29 €
★★★☆☆ COMBATTANT­ES. UNE HISTOIRE DE LA VIOLENCE FÉMININE EN OCCIDENT, MARTIAL POIRSON (DIR), 264 P., SEUIL, 29 €

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