LE SEXE FORT
Le décès de Gisèle Halimi la fait passer du rang de modèle à celui d’icône. La parution de ses confessions accompagnée par celles des livres de Martial Poirson et de Bibia Pavard nous offre une rentrée à la gloire de la puissance féminine.
J «’ai très tôt choisi mon camp : celui des victimes. Mais attention! Des victimes qui relèvent la tête, s’opposent, combattent », revendiquait Gisèle Halimi. À une époque où certaines associations féministes s’échinent à enfermer leurs soeurs dans l’identité asphyxiante d’éternelles victimes conformément aux voeux du patriarcat qu’elles dénoncent pourtant, des hommes et des femmes – historiens, juristes, écrivains – ont pris la plume pour démontrer combien le deuxième sexe a toujours été fort.
LA GRANDE SUPERCHERIE DU PATRIARCAT
Cette puissance passe aussi par l’exercice de la violence. Dans Combattantes, Martial Poirson et ses coauteurs prouvent que, depuis plus de deux mille ans, des femmes courageuses ont milité pour la défense des plus faibles, de leur patrie ou pour leur propre dignité. Dans l’Antiquité, ainsi que le rapporte l’helléniste Pauline SchmittPantel, la société a voulu faire de la violence l’apanage des hommes, celle-ci étant constitutive d’une citoyenneté dont il fallait interdire l’accès aux femmes. Convaincre ces dernières qu’elles sont faibles : voilà la grande supercherie du patriarcat. Celles qui ont refusé d’être de petites choses fragiles se sont connectées à leur masculinité. Ce faisant, elles ont ébranlé la société mais aussi puni les hommes indignes de leur héritage hégémonique. Le livre est préfacé par Christiane Taubira, pour qui « ces femmes canailles sont souvent notre honneur et notre gloire. » Les indociles présentées dans cet ouvrage sont les pionnières du féminisme.
POLITIQUES D’ÉMANCIPATION
Le féminisme existait donc avant le féminisme, et les auteures de Ne nous libérez pas, on s’en charge dressent un panorama complet de ses multiples ramifications de 1789 à nos jours. Très documentée et austère, cette somme s’adresse à un lectorat pointu. Il s’agit d’un outil de travail à avoir dans sa bibliothèque pour toute personne menant une réflexion de fond sur le sujet. L’étude des politiques d’émancipation met en exergue les principaux acteurs de la libération des femmes, de Choderlos de Laclos à Hubertine Auclert. Petit bémol, cependant : pour analyser l’histoire de France, les chercheuses utilisent des concepts (blanchité, négritude, intersectionnalité…) plus pertinents aux États-Unis. Elles font néanmoins une vraie place à l’humanisme, valeur nationale à laquelle adhéraient les intellectuelles du xxe siècle, à l’instar de l’Antillaise Paulette Nardal. Dans notre pays, l’abolition de l’esclavage et l’émancipation féminine ont été des combats connexes et précoces. Rappelons que la ségrégation a pris fin aux États-Unis en 1965 alors que la France décolonisait ses territoires étrangers. Ce sont deux trajectoires historiques très différentes.
UNE VOLONTÉ FAROUCHE
Gisèle Halimi a d’ailleurs fait ses armes de jeune avocate humaniste dans l’enfer de la décolonisation, assurant alors la défense de plusieurs Algériens. Dans un livre confession, devenu testament depuis sa mort, le 28 juillet dernier, elle raconte son parcours à la journaliste Annick Cojean avec un mélange d’emphase et de pudeur. La soprano du barreau revient sur son enfance rebelle dans une modeste famille juive tunisienne et sur ses grands combats : la défense des femmes, en particulier celle de l’Algérienne Djamila Boupacha, agent de liaison du FLN, jusqu’au procès de Bobigny. Gisèle Halimi, en militante du prétoire et en député indomptable, a plus fait avancer la cause féminine au xxe siècle que Simone de Beauvoir – qu’elle admirait et dont elle était l’amie. On ne naît pas femme, on le devient. Peut-être. Mais on ne devient pas une grande dame sans la puissance d’une volonté farouche.