LONGUE DE COMPTOIR
Dans son nouveau livre, le philosophe partage son analyse de la crise sanitaire et critique sa gestion. Mais cette Vengeance du pangolin évoque plutôt celle d’un incorrigible bavard qui n’aurait plus de zinc auquel s’accouder pour nous asséner sa logorrhée habituelle.
Ça commence par un développement à la Tintin au pays des soviets de l’empereur rouge Xi Jinping. Michel Onfray nous détaille tout ce que les Chinois ingurgitent de créatures répugnantes – la chauve-souris en ragoût, mais aussi le chat en rôti, le chien en escalope et la soupe de pénis de tigre infusée au gingembre ! Le pangolin a droit à un traitement à part. Pas seulement parce qu’il se trouve à l’origine du Covid-19, mais parce que sa viande coûte bonbon et qu’elle a des vertus sexuellement revigorantes. Ce qui en fait, nous dit le très informé Onfray, « le mets de choix de la mafia, donc des membres du parti, des membres du parti, donc de la mafia » – cette répétition visant sans doute à un effet de vérité. Suivent des variations écologiques sur les zoonoses (non pas l’écologie « mondaine » des bobos urbains, mais la vraie, qui est une communion avec le cosmos et ses lois qu’on n’éprouve qu’au sein de nos campagnes profondes) et sur le principe vital selon lequel la mort se nourrit de la vie et, vice versa, la vie de la mort. C’est là, pontifie Onfray, le « Cycle du Vivant ». Le virus est venu, a vaincu et s’en ira donc… pour revenir nous narguer dans un demi-millénaire !
IL A TOUT COMPRIS
Après cette forte mise en bouche, le livre, hélas, retombe un peu. Normal : il n’est plus alors qu’un collage des innombrables entretiens que notre pourfendeur des médias « maastrichiens » – qui, en représailles, le boudent – a donnés pendant le confinement, entrecoupé de passages inédits de son Journal. En général, quand un auteur procède à ce genre d’opération, c’est pour montrer qu’il a eu raison avant tout le monde. Est-ce le cas ? C’est selon. Contrairement au « grand médecin » Michel Cymes, Onfray n’a jamais confondu le Covid-19 avec une « grippette ». Très tôt, il a tout compris – le malin – par le raisonnement: si les Chinois ont réagi si vivement dès l’apparition du virus, alors qu’ils peuvent éliminer des millions d’êtres humains sur un seul signe de leur PCC dictatorial, c’est qu’il s’agissait d’une menace sanitaire majeure.
RAOULT MIEUX QUE MACRON
Sur la question de la fermeture des frontières, le philosophe est moins heureux. Il persiste à penser qu’elle était la bonne mesure à prendre. Il devrait en parler à Trump, qui l’a appliquée sous les vivats des souverainistes… Il persévère également dans son soutien à l’hydroxychloroquine du Dr Raoult. Et il dresse de ce dernier un panégyrique enflammé : le professeur marseillais, écrit-il, personnifie la figure du « Chef » qui nous manque. À l’opposé de « ce jeune homme fat et narcissique » qu’est notre Président et de ses « verbigérations » (Onfray raffole de ce mot abscons, qu’il répète toutes les cinq pages), Raoult incarne « ce que Hegel appelle un grand homme » ! Et, sur le plan intellectuel, c’est un condensé d’Einstein, de Nietzsche et d’Épicure – un autoportrait, en quelque sorte.
On pourrait gloser sur ses approximations, ses contradictions – chantre de la « décence ordinaire » d’Orwell, il ne rate pas une occasion de colporter les pires ragots, de préférence d’ordre sexuel, sur ses ennemis – et son style scato : « De la même manière que le gras du suppositoire autorise l’avancée du principe pharmacologique… », entame-t-il ainsi une phrase. Ces critiques seraient peine perdue. Onfray déroule imperturbablement son soliloque déjà mille fois entendu. Jean-Marie Gourio nous fait rire avec ses Brèves de comptoir. Ici, c’en est une interminable, qui s’étale sur trois cents pages, et, en plus, pas vraiment drôle. Sauf de façon indirecte, bien sûr.