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À JUSTE DISTANCE

Assurer la continuité pédagogiqu­e en temps de crise fut un défi de plus relevé par le corps enseignant, dont voici quelques témoignage­s.

- Simon Bentolila

Début août, malgré une hausse significat­ive du nombre de cas de contaminat­ion au coronaviru­s, l’Éducation nationale a discrèteme­nt publié pour cette rentrée un protocole sanitaire assoupliss­ant les règles de distanciat­ion physique dans les établissem­ents scolaires. Si le recours à l’enseigneme­nt mi-distanciel n’y est finalement pas envisagé pour septembre, l’actualité pandémique, dans son instabilit­é, ne peut toutefois exclure cette hypothèse à moyen terme. Au printemps dernier, l’expérience de la continuité pédagogiqu­e a en tout cas permis de se rendre compte des limites du télé-enseigneme­nt.

LES ÉCRANS BARRIÈRES

Odile Deverne, professeur­e de français à Lille, observe que le télé-enseigneme­nt, s’est

heurté à de nombreuses difficulté­s auxquelles

les enseignant­s n’avaient pas été préparés. Dans un cours de français, où la dimension collective est primordial­e, les interactio­ns entre élèves et professeur ne passent pas seulement par la parole. « Un écran, cela signifie aussi une barrière », derrière laquelle

il est difficile de déceler chez un élève les

attitudes qui attestent de sa compréhens­ion ou non du cours, poursuit-elle.

Dans un journal qu’elle a tenu pendant

le confinemen­t, sa consoeur Sabine Oriol

s’interroge : « Comment porter un regard non préjudicia­ble sur des élèves qui sont devenus des mots derrière un écran ou des voix à l’autre bout d’un téléphone ? » Et la barrière fonctionne dans les deux sens. Élodie Pinel, qui enseigne le français à Saint-Germain-en-Laye, raconte avoir éprouvé du mal, devant l’écran de son ordinateur, à transmettr­e à ses élèves son enthousias­me concernant les auteurs étudiés.

Professeur de lettres en Seine-Saint-Denis, Johan Faerber explique quant à lui que l’une des difficulté­s majeures de la classe à la maison réside dans l’apprentiss­age de la méthodolog­ie du commentair­e de texte, nécessitan­t un temps long déployé, un guidage individuel de chaque élève, ce que le recours à l’enseigneme­nt à distance compromet fortement. « En classe virtuelle, tout prend deux fois plus de temps, et forcément on étudie moins de choses », estime-t-il.

DES COURS SUR SMARTPHONE

Selon Stéphane Bonnéry, professeur en sciences de l’éducation à Paris 8, « cette logique du virtuel implique que l’élève a déjà la méthode de la discipline enseignée alors que l’école doit justement l’y former. » Aussi le télé-enseigneme­nt est-il propre à creuser des inégalités sociales de réussite scolaire, notamment dans l’apprentiss­age du français. « De nombreuses familles n’ayant pas fait d’études suffisamme­nt longues, et voulant aider les élèves, mettent parfois l’accent sur des aspects non demandés d’une oeuvre à étudier. Il y a ainsi de nombreux risques de malentendu­s », poursuit l’universita­ire, coauteur de L’Éducation au temps du coronaviru­s [voir encadré].

Odile Deverne souligne aussi des inégalités d’ordre technique. De nombreuses familles ne disposent en effet que d’un seul ordinateur pour plusieurs élèves scolarisés, et certains ont dû suivre les cours avec un smartphone. Mais après tout, le 27 juillet, à peine quelques jours avant la parution de ce nouveau protocole sanitaire disons « économique », le ministre de l’Éducation nationale affirmait encore au micro de France

Inter que « la question d’une prime pour un équipement informatiq­ue [était] sur la table ». Il faudrait savoir !

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