Lire

LE FRANÇAIS DANS L’ÂME

À l’occasion des 50 ans de la Francophon­ie, six intellectu­els et artistes racontent leur histoire avec la langue française dans un ouvrage qui bouscule un débat souvent plombé par les poncifs.

- Gladys Marivat

Francophon­ie. Pour l’amour d’une langue est un guide de voyage pas comme les autres. Publiée dans la collection « L’âme des peuples », cette dernière parution explore non pas un lieu mais une idée : la Francophon­ie. L’ouvrage démarre par un texte de J.-M.G. Le Clézio, suivi d’entretiens avec des artistes et intellectu­els francophon­es sur leur expérience intime avec la langue française. Le Prix Nobel de littératur­e franco-mauricien rappelle qu’aucune langue n’est innocente. Le français, tout comme l’anglais, l’espagnol et le portugais, porte en lui l’histoire violente de l’expansion coloniale, reconnaît-il. Avant d’ajouter : « La question est de savoir ce que l’on veut en faire aujourd’hui. »

RÉINVENTER LA LANGUE POUR SE LIBÉRER

Car, ainsi que le rappelle le dramaturge belgo-rwandais Dorcy Rugamba, « Il a fallu que les peuples opprimés, qui ont dû apprendre la langue française sous la contrainte, la réinventen­t pour se libérer mentalemen­t. Pour cette raison, on ne peut vraiment souffrir de s’exprimer dans la langue de l’abbé Grégoire, Césaire, Frantz Fanon, Kateb Yacine, Simone de Beauvoir ou Mariama Bâ ».

La complexité de la relation à la langue française se retrouve aussi dans l’entretien avec Rithy Panh. Le cinéaste et écrivain franco-cambodgien raconte ce jour où Douch, l’ex-directeur de la tristement célèbre prison d’exterminat­ion S-21, lui a récité par coeur un poème d’Alfred de Vigny. Cette anecdote saisissant­e illustre l’attachemen­t des Cambodgien­s au français, qui fut pour Rithy Panh une « langue refuge ». Celle que son père, instituteu­r, parlait à la maison avant l’arrivée des Khmers rouges, qui ont imposé leur « novlangue » militarisé­e et criminelle. Celle dans laquelle il a raconté l’assassinat de sa famille.

L’entretien avec Fawzia Zouari revient sur la croyance que les écrivains de pays ancienneme­nt colonisés seraient forcément « écartelés entre la langue de leur père (arabe) et de leur mère (française) », explique l’auteure franco-tunisienne, en précisant qu’elle n’a rien abandonné pour devenir qui elle est.

L’écrivain, commissair­e d’exposition et critique d’art camerounai­s Simon Njami rejette quant à lui ce qu’il appelle « la théorie du sanglot de l’homme noir »:« Je m’inquiète de ce déterminis­me qui nous verrait toujours tributaire de notre langue, de nos origines, de notre histoire. Comme si, au fond, nous n’étions pas des individus libres de penser

par nous-mêmes. » La liberté de cheminer avec une langue, c’est ce que réclament les artistes et intellectu­els interviewé­s dans ce livre. Tous regardent en direction de l’avenir. Selon l’académicie­nne Barbara Cassin, il « passe évidemment par l’Afrique […], qui sauvera et infléchira la Francophon­ie dans le monde ».

FRANCOPHON­IE. POUR L’AMOUR D’UNE LANGUE, J.-M.G. LE CLÉZIO, AVEC BARBARA CASSIN, DORCY RUGAMBA, FAWZIA ZOUARI, SIMON NJAMI ET RITHY PANH, 104 P., NEVICATA/L’ÂME DES PEUPLES, 9 €. EN PARTENARIA­T AVEC L’OIF.

 ??  ?? J.-M.G. Le Clézio, l’un des contribute­urs du livre Francophon­ie. Pour l’amour d’une langue.
J.-M.G. Le Clézio, l’un des contribute­urs du livre Francophon­ie. Pour l’amour d’une langue.

Newspapers in French

Newspapers from France