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Carole Martinez

- Carole Martinez

Depuis Le Coeur cousu, elle est considérée comme notre meilleure conteuse : Carole Martinez publie un nouveau roman, Les Roses fauves, qui devrait la confirmer dans ce statut. Nous sommes allés à sa rencontre, dans sa maison en Normandie. Et, contre toute attente, nous n’y avons pas croisé Barbe-Bleue…

Si la réalité était aussi féerique que la fiction, nous aurions rencontré Carole Martinez dans la forêt de Brocéliand­e. Le monde étant ce qu’il est, nous avons rendez-vous à la gare de Briouze, dans l’Orne. On est en juin et il fait un temps de Toussaint : il pleut. Alors qu’elle nous accueille sur le quai, la romancière commence par rire : « Briouze, c’est sûr que ce n’est pas très sexy, comme nom… » On la lance sur un sujet plus gai : connaît-elle le fantastiqu­e Ehpad NotreDame de Briouze, maison de retraite pour dames sise jadis dans un splendide couvent, et désormais mixte ? Carole Martinez n’en a jamais entendu parler mais, à la réflexion, n’exclut pas d’y finir ses jours. En attendant, elle nous prie de la tutoyer et fonce vers les Murmures, à un quart d’heure de voiture de là. Les Murmures ? C’est ainsi qu’elle a baptisé sa maison, achetée grâce au succès de son deuxième roman, Du domaine des

Murmures (180 000 exemplaire­s vendus en grand format, plus de 300 000 en comptant les poches).

En arrivant, on tombe sur un hamac. S’y allonge-t-elle pour travailler décontract­ée, comme Frédéric Beigbeder, chez lui, au Pays basque ? Notre hôte ne semble pas comprendre ces moeurs sauvages : « Je n’écris pas dehors. » L’endroit est un ancien hameau : près de 2 hectares de terrain attaqués par des fougères contre lesquelles

elle se bat vaillammen­t, une charmante longère chauffée au fioul, une piscine, des granges aménagées pour ses deux grands enfants et un corps de ferme qu’elle est en train de retaper. « Mon rêve, c’est d’avoir deux chevaux et un poulailler », affirme celle qui hésite de plus en plus à lâcher son appartemen­t d’Issy-les-Moulineaux pour s’installer ici à l’année. Preuve qu’elle n’en est pas loin, elle a créé un potager pendant le confinemen­t. Comment combattre les limaces ? Notre photograph­e lui conseille de mettre des bols de bière, elle préfère le marc de café. Le débat fait rage. N’étant pas envoyé ici par le magazine L’Ami des jardins, on prend prétexte du crachin pour aller à l’intérieur et changer de sujet.

ÉLEVÉE DANS UN MONDE MERVEILLEU­X

On entre directemen­t par la cuisine, ce qui n’est pas anodin. Si le Martinez est le plus célèbre hôtel de luxe de la Croisette, Carole, elle, n’a pas grandi dans des palaces. Ses grands-parents étaient des pieds-noirs d’origine espagnole ayant déménagé à Paris en 1948 : « Mon grand-père avait été élu meilleur soudeur d’Oranie, il faisait les câbles aux PTT – le week-end, il m’emmenait d’ailleurs en caravane à Beaulieu-Sainte-Assise, où les PTT avaient un camping. Quant à ma grand-mère, Nini, elle avait pris une loge de concierge boulevard du Montparnas­se, dans l’immeuble où vivait le jeune Jean-Marie Rouart, à l’époque où il ratait son bac. »

Pourquoi le futur académicie­n n’allait-il pas prendre des cours du soir chez Nini, qui n’était pas banale ? « Elle était guérisseus­e : quand tu avais une insolation, elle pouvait te sortir le soleil de la tête en te mettant une assiette d’eau sur le crâne. Sa loge, c’était surtout la cuisine. Quand elle n’était pas dans les escaliers, elle y passait sa vie à mélanger toutes les saveurs du bassin méditerran­éen, influences espagnoles et arabes, couscous, paella, beignets italiens… Elle m’a élevée dans un monde magique, merveilleu­x, elle était pleine de superstiti­ons et de croyances – elle ne jetait pas de sorts, mais elle aurait pu. C’est elle qui m’a parlé de Frasquita Carasco, notre aïeule andalouse dont j’ai raconté la vie épique, en la modifiant un peu, dans Le Coeur cousu. L’Espagne de ma grand-mère était imaginaire, elle s’en était inventé une carte intérieure. Quand je lui demandais de quel port était partie Frasquita pour traverser la Méditerran­ée à la rame, elle me répondait : Séville. Ça ne la dérangeait pas du tout que Séville ne soit pas au bord de la mer… »

Nous ayant préparé un plat de chez nous (un gâteau au chocolat), Carole Martinez nous invite à la suivre au salon avec le café. On remarque une sculpture en dentelle de son amie l’artiste Marjolaine SalvadorMo­rel, une vieille machine à coudre achetée dans une brocante locale et un coeur en mosaïque fait par sa belle-soeur : « On m’en a offert, des coeurs, au moment du Coeur cousu ! J’en ai vraiment eu de toutes les sortes… » Alors que l’on s’assoit sur le canapé rouge où elle écrit parfois quand la maison est vide, la transition est toute trouvée pour revenir sur son livre phénomène paru en 2007, l’année de ses 41 ans.

Avant de devenir romancière à succès, elle a été comédienne, serveuse, ouvreuse, photograph­e de plage et surtout professeur­e de français au collège, à Sarcelles pendant huit ans, puis à Issy-les-Moulineaux. Cela faisait quinze ans (quinze ans !) qu’elle traînait le manuscrit du Coeur cousu. Son mari l’avait poussée à prendre une année pour le mettre au propre. Signé chez Gallimard grâce au flair de Jean-Marie Laclavetin­e (découvreur entre autres de Muriel Barbery, David Foenkinos ou François-Henri Désérable), le livre sort en mars 2007 : presque aucun article, pas beaucoup plus de ventes. Deux mois plus tard, Carole Martinez reconnaît qu’elle a fait un flop et s’attelle à un nouveau texte pour sauver cet échec. Et puis fin mai, miracle : le bouche-à-oreille finit par prendre. Le Coeur cousu remonte peu à peu dans les meilleures ventes et, au bout du compte, elle se retrouve récompensé­e par neuf prix littéraire­s, dont le Renaudot des lycéens. Depuis, elle a cartonné avec Du domaine des Murmures et La Terre qui penche.

UNE CONTEUSE ASSUMÉE

Et si on allait voir son bureau ? On traverse une pièce à vivre où trône un piano qui était là quand elle a acquis la longère, et qu’elle a eu la flemme de bouger (son fils Noé y joue de temps en temps). Parmi les nombreux livres qui s’empilent ici et là,

on remarque un Folio des Contes choisis d’Andersen et une belle édition de CasseNoise­tte. Cette admiratric­e de Juan Rulfo et García Márquez est-elle à l’aise avec l’étiquette de conteuse qui lui a été collée sur le front dès ses débuts ? « C’est JeanMarie Laclavetin­e qui m’a dit le premier que j’étais une conteuse. Le conte, c’est un genre modeste, qui vient de la tradition orale, du monde populaire, et j’avoue que j’ai beaucoup d’appétence pour ce genre, dont on peut faire ce qu’on veut et qui est universel – on retrouve les mêmes motifs partout dans le monde. Un bon conte t’accompagne de la naissance à la vieillesse, quand tu es grand-mère et que tu racontes des histoires à tes petits-enfants, comme le faisait ma grand-mère avec moi. Je ne sais pas si le genre est sous-estimé, et je m’en fiche : je n’ai pas d’autre ambition que d’être une conteuse. »

On gravit les quelques marches qui mènent à sa chambre, où se trouve la table où elle compose ses romans, en y rêvassant au début, en s’y mettant plus sérieuseme­nt quand il faut terminer. On remarque une poutre sur laquelle l’architecte de la maison avait gravé son nom, ce qui avait inspiré à Carole Martinez un personnage de La Terre qui penche : « Eh oui, quand tu écris, tu peux te nourrir de tes élèves, de tes enfants, mais tu peux aussi te nourrir d’une poutre ! »

DU RÉALISME MAGIQUE À LA FRANÇAISE

Cette « femme ballon » qui a « besoin de décoller » sera l’un des auteurs en vue cet automne. De quoi parle son nouveau roman, Les Roses fauves ? D’une certaine Lola Cam, postière bretonne et boiteuse qui a chez elle une collection de coeurs cousus (on ne se refait pas) où ses ancêtres ont consigné leurs souvenirs. Elle ne les a jamais ouverts. Un jour, elle s’y colle, découvre un passé inconnu et entame dans le même temps une histoire d’amour avec un acteur doux dingue qui tourne dans la région un film sur la Première Guerre mondiale. Bref, c’est du pur Martinez : du réalisme magique à la française, une femme recluse et solitaire aux prises avec des histoires familiales plus ou moins légendaire­s. Serait-ce son thème de prédilecti­on? « Je suis très attachée à cet imaginaire fabuleux, fantastiqu­e, que je tiens de ma grand-mère. Mais je me méfie en même temps de la filiation : on peut vouloir se séparer de la douleur et de la folie, des traumatism­es des gens qui nous ont précédés et que l’on se trimballe comme des idiots de génération en génération. Personnell­ement, j’aimerais autant que ça ne m’atteigne pas… »

En redescenda­nt au salon, elle nous parle de son prochain projet, son arlésienne personnell­e qui sera peut-être repoussée d’ici là par un autre manuscrit : une réécriture de l’histoire de Barbe-Bleue. Encore des femmes enfermées, et autant de fantômes. Et cette maison alors, les Murmures, est-elle hantée ? « Les Mexicaines, elles, accueillen­t les anges. Quand leur époux est mort, il peut leur rendre visite. Ça ne pose de problème à personne. C’est une autre conception du monde, plus poétique. » Sur ces dernières précisions, on croise Laurent, son mari : il est bien vivant, et en pleine forme.

De notre côté, il est temps de regagner la gare de Briouze. Aux petits soins, l’affable descendant­e de Frasquita nous emballe un morceau de gâteau au cas où on aurait un creux dans le train, ce qui nous donne l’impression étrange (mais pas désagréabl­e) d’être un enfant que sa mère accompagne au départ en classe verte. Sur le chemin du retour, on a un seul regret : ne pas être venu un jour de cagnard. On aurait bien aimé que Carole Martinez nous tire le soleil de la tête.

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 ??  ?? Dans sa longère, on trouve ici et là des livres et de vieux objets, dont une machine à coudre acquise dans une brocante, sans oublier des coeurs comme celui, ci-dessus, réalisé en mosaïque par sa belle-soeur.
Dans sa longère, on trouve ici et là des livres et de vieux objets, dont une machine à coudre acquise dans une brocante, sans oublier des coeurs comme celui, ci-dessus, réalisé en mosaïque par sa belle-soeur.
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 ??  ?? Une sculpture de l’artiste Marjolaine Salvador-Morel trône sur la table du salon, où Carole Martinez s’installe pour écrire lorsque la maison est vide.
Une sculpture de l’artiste Marjolaine Salvador-Morel trône sur la table du salon, où Carole Martinez s’installe pour écrire lorsque la maison est vide.
 ??  ?? En haut : sur l’une des poutres, le nom gravé a été utilisé pour l’un de ses personnage­s. En bas : le piano sur lequel s’exerce son fils Noé.
En haut : sur l’une des poutres, le nom gravé a été utilisé pour l’un de ses personnage­s. En bas : le piano sur lequel s’exerce son fils Noé.
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LES ROSES FAUVES, CAROLE MARTINEZ, 352 P., GALLIMARD, 21 €
★★★☆☆ LES ROSES FAUVES, CAROLE MARTINEZ, 352 P., GALLIMARD, 21 €

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