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Plus qu’une série d’articles, c’est un dialogue avec l’Histoire que propose François Mauriac dans son Bloc-notes. Celle des lettres et celle de la politique française. Visionnaire et intraitable.
En 1952, les jeunes provocateurs regroupés autour de Roger Nimier, ceux qu’on appela les « Hussards », demandaient à François Mauriac de collaborer à leur revue, La Table ronde. C’est ainsi que l’académicien et récent Prix Nobel « entra dans la bagarre » avec son
Bloc-notes. Commencé à droite, le combat se poursuivit dans L’Express, hebdomadaire de centre gauche de Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, puis dans les colonnes, plus conservatrices, du
Figaro littéraire jusqu’en 1970, année de la mort de l’écrivain.
Ces revirements n’étaient qu’apparents. Quitte à choquer son propre camp, Mauriac défendait inlassablement des valeurs humaines qui dépassaient tout cadre politique. Porté par le besoin de frotter son catholicisme aux rugosités de l’Histoire, il condamna la torture en Algérie, plaida pour l’indépendance du Maroc, puis, de l’ensemble des pays d’Afrique du Nord ; il célébra aussi la pensée du grand homme de gauche que fut Mendès France tout en restant d’une fidélité exemplaire à de Gaulle.
OEuvre séculière d’un croyant en constante communication avec l’invisible, Le Bloc-notes concilie intelligence polémique, franchise et beau style : c’est une oeuvre à part entière. L’âme et la révolte y marchent de concert et prennent même un essor inattendu chez un écrivain qui avait commencé sa carrière au début du siècle, dans la France de Barrès et de Proust.
LA VOCATION DE L’ABSOLU
Avec jubilation et malice, Mauriac brouillait les frontières de la pensée politique, comme il effaçait l’antagonisme traditionnel entre journalisme et littérature. Inscrivant l’actualité dans le courant plus vaste de sa pensée, constamment poète et romancier, il poursuivait et approfondissait une vocation dédiée à l’absolu. Ce « dialogue avec l’Histoire », pour reprendre l’expression de Jean Lacouture, eut un impact réel sur l’opinion publique de son temps. Il marqua la sensibilité française et joua un rôle dans le dénouement de la guerre d’Algérie et l’histoire du régime gaulliste.
À la fois confession et combat au jour le jour, Le Bloc-notes nous révèle un Mauriac en état d’urgence, généreux, attentif aux autres et d’une liberté exemplaire. Même si le monde a changé depuis 1970, cet engagement dénué d’opportunisme, cette énergie spirituelle qui n’hésite jamais à se mettre en danger, font du Bloc-notes un livre plus que jamais d’actualité.