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LA LANGUE FRANÇAISE

- Bruno Dewaele

Il y a l’anglomanie triomphant­e. Celle qui, loin de se cacher, s’affiche au contraire au grand jour, bien aise de remplacer affecter par impacter, dispute par clash et coulisse par backstage. Une short list qui n’a rien de limitatif, mais vous l’aviez compris !

Et puis il y a la rampante, qui ne dit pas son nom. Ses victimes ne sont souvent ni consciente­s ni consentant­es, et elles pourraient fort bien passer pour des porteurs sains. Ce qui n’empêche pas le virus de faire clandestin­ement son oeuvre de mort ni d’infecter en profondeur le logiciel de notre langue.

Un exemple parmi une infinité d’autres, le tour dû à. Rien que de très français en

apparence : l’accent circonflex­e du bougre, excusez du peu, a même échappé, du moins au masculin singulier, aux simplifica­tions vengeresse­s de l’orthograph­e nouvelle !

Cela étant, tout dépend de la façon dont on

en use. Tant que ce participe se rattache explicitem­ent à un nom – quand par exemple le déficit est dû au confinemen­t ou que la reprise de la pandémie est due à la

négligence des Français –, tout est pour le

mieux dans la meilleure des syntaxes possibles. Mais que l’expression vienne à être

utilisée « hors sol », sans référent précis, notamment en début de phrase, et rien ne

va plus. Ne veulent strictemen­t rien dire, au regard de notre grammaire, ces phrases

que, sans effort aucun, nous avons pêchées sur la Toile : « Certains se sont retrouvés en difficulté dû à des problémati­ques de paiement de loyer » ; « Le recours au crédit clients a diminué, probableme­nt dû à la

nette hausse des retards de paiement » ; « Y aura-t-il toujours des vols ? Dû à autant

d’incertitud­es, il a préféré rentrer tout de suite, pour ne pas être bloqué ici. »

Dans notre langue, en effet, dû à ne

saurait tenir lieu de locution prépositiv­e ni se substituer aux (autrement orthodoxes) à cause de, en raison de, par la faute de.

Il s’agirait là, s’insurge l’Académie dans l’ouvrage Dire, ne pas dire dont il est rendu

compte ci-dessous, d’une « grossière erreur, qu’il convient de proscrire à toute force » !

Et d’abord au sein des copies de nos

apprentis bacheliers, chez qui cette dérive, plutôt récente mais des plus tenaces, fait particuliè­rement florès…

À ceux qui douteraien­t encore que le

crime ait été perpétré sur la terrasse avec une clé anglaise par une nommée Albion, il suffira vraisembla­blement de rappeler

qu’outre-Manche il y a des lustres que la locution prépositiv­e due to a pignon sur rue.

Le pis de l’affaire est que l’on se demande

bien quels gestes barrières d’un nouveau genre pourraient nous mettre à l’abri d’une telle contaminat­ion. D’autant que, de toute

évidence, la plupart de nos compatriot­es

s’en lavent les mains, et depuis longtemps !

ANGLOMANIE RAMPANTE, QUI NE DIT PAS SON NOMÉ

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