STÉPHANIE HOCHET
Portrait de personnage
Célestine aime une chose par-dessus tout : décontenancer son interlocuteur. Elle me regarde avec un air mutin, mais parvient tout aussi bien à me donner l’impression qu’elle se fiche de
notre entretien. En ce jour de canicule, la jeune femme agite un éventail en soupirant bruyamment. Elle regarde sa montre avant que je ne lui pose la première question. Celle-ci se rapportant à ses origines et sa famille suscite chez elle un ennui évident. J’attaque différemment. Quelles jolies bottines porte-t-elle ! Soudain, son oeil s’illumine. « Vous trouvez ? Sans me vanter, je suis une spécialiste de ce genre de souliers. » Je fais semblant de m’étonner. « Bah oui, avec tous les pervers que j’ai rencontrés, les obsédés des pieds et des bottines, les messieurs obnubilés par les petites histoires qu’ils se racontent quand ils vous voient, je dirais que je m’y connais aussi bien qu’eux en coquetteries de ce genre. »
Puisqu’elle aborde le sujet, allons-y. Que pense-t-elle de ses patrons? « C’est comme le vin, il y a des grands crus et des piquettes, mais il faut bien reconnaître que la piquette est plus fréquente que le Montrachet. Avec les hommes, je peux encore supporter les déviances. Leurs bourgeoises sont pires. Pour sûr, elles sont pleines d’arrogance dès qu’elles deviennent des épouses de notable. La prétention leur monte à la tête et le sadisme occupe leur journée. Nous autres bonnes sommes le souffre-douleur idéal dont leur imagination aigrie a besoin pour se défouler. Et quand on est une belle fille comme moi, je peux vous dire que les patronnes ne vous ont pas à la bonne (pour faire un jeu de mots). » Elle fait un geste avec l’épaule et une moue qui semblent inviter aux compliments – c’est vrai qu’elle est ravissante, avec ses taches de rousseur et ses yeux vifs. Pas d’expériences positives avec les épouses dans les maisons bourgeoises ? « Si, c’est arrivé que je tombe sur un ange, et Dieu sait que ces souvenirs sont liés aux plus beaux moments de ma vie. » Les plus beaux moments de sa vie ? « Oui, une histoire d’amour avec un jeune tuberculeux… Mais que pouvais-je faire sinon mourir avec lui? Oh quelle tristesse. Quelle tristesse et quelle passion », soupiret-elle. Est-elle mélancolique? « Ça non ! J’aime trop la vie. Cette chienne de vie vaut bien qu’on la vive si on a du caractère pour ne pas s’aplatir. »
Célestine a une très longue expérience de son métier. Malgré sa jeunesse, la femme de chambre a vu du pays. La Bretagne, Paris qu’elle a tant aimé, la Normandie, etc. Elle pourrait nous en raconter de belles sur les Lanlaire, les Gouin, les Dubus, dit-elle avec une expression de dégoût. Qu’a-t-elle retenu de tout ce qu’elle a vu ? « L’immensité des vices cachés », répond-elle sans une hésitation. A-t-elle pris une habitude qu’elle regrette en travaillant tant ? Oui, le besoin de filouter même ses amants. C’est peut-être nécessaire, pensé-je. Veut-elle ajouter
quelque chose à propos de son métier? « Nous sommes plus puissants que les maîtres ne l’imaginent. Nous connaissons tous leurs petits secrets. Il ne tient qu’à nous que cette société dure encore. » L’instant d’après, elle redemande un verre de cognac. « C’est bon, cette saleté ! »