COUP DE FOUDRE À NEW CANAAN
En littérature aussi, le coup de foudre existe : vous parcourez les premières pages d’un roman quand, soudain, une étincelle se produit ; une phrase, une métaphore, une silhouette retiennent votre attention et vous ne voulez plus lire que ce livre-là. Ce bonheur vient de m’arriver avec Ohio, premier roman plein de lyrisme sombre de l’Américain Stephen Markley.
Le récit, qui se centre sur la petite ville fictive de New Canaan, Ohio, commence par un morceau de bravoure : l’enterrement sans corps d’un héros local – un GI mort en Irak – durant lequel nous sont présentés les personnages qui compteront. Puis nous retrouvons l’un d’eux, Bill, fonçant six ans plus tard vers New Canaan, la tête pleine de LSD et de souvenirs de son adolescence. Avec son passé truffé d’énigmes, sa camionnette déglinguée et le paquet qu’il convoie, et dont il ignore le contenu, Bill est aussi une allégorie vivante de sa ville, dévastée par la crise et les drogues, et couvant de nouvelles catastrophes. Trois autres voix s’ajouteront à la sienne. Comme elles appartiennent toutes à d’ex-membres de la même bande de lycéens, la narration navigue entre les histoires de leur jeunesse plus ou moins dévoyée et celles de leurs vies d’adultes plus ou moins abîmés. Bien sûr, toutes se relient, mais ce que l’on retient surtout, c’est le talent de Stephen Markley pour faire fleurir, sur ce matériau fangeux, des phrases d’une indiscutable beauté poétique. Les mots, peut-être, d’une nouvelle génération perdue.
★★★★☆
OHIO (ID.),
STEPHEN MARKLEY, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR CHARLES RECOURSÉ, 560 P., ALBIN MICHEL, 22,90 €