Poétique de l’enfermement
David L. Carlson et Landis Blair livrent un album graphique sombre et puissant dont le récit, tiré d’une histoire vraie, fait la part belle à la poésie et à son pouvoir rédempteur.
Ce roman graphique de près de cinq cents pages au format presque carré impressionne, et ce que nous racontent David L. Carlson et Landis Blair, plus encore. Le personnage principal, Matt Rizzo, dont le narrateur est le fils, Charlie, a existé. Aveugle, il doit finir par avouer à son fils, jusqu’alors admirateur inconditionnel de son père, que ce n’est pas là le résultat d’un accident de chasse, mais d’un braquage qui a mal tourné. On ne divulgue rien à révéler ce point, puisque c’est après cette révélation que l’histoire commence véritablement. Une terrible mais belle histoire où il est question de crime et de rédemption, au plus haut niveau : l’un des héros en est Nathan Leopold, dont le nom est bien connu aujourd’hui encore aux États-Unis, car il fut l’auteur, avec son amant Loeb, du modèle (si l’on peut dire, puisqu’ils se sont fait prendre tout de suite) du « crime parfait », qui inspirera à Hitchcock le film La Corde. On sait moins qu’en prison les deux assassins sont devenus les professeurs de leurs codétenus, et l’on découvre combien Leopold aura joué un rôle décisif dans la métamorphose de Rizzo.
Ce récit entremêle étroitement histoire carcérale et poésie, philosophie et musique ; mais pas n’importe quelle musique – Jean-Sébastien Bach –, pas n’importe quelle poésie – L’Enfer de Dante – et pas n’importe quelle philosophie – Platon –, avec des séquences dignes du Cercle des poètes disparus, comme lorsque Matt met fin à une querelle entre prisonniers en récitant un poème du poète de Chicago Carl Sandburg.
Le plus fort est que cet entremêlement, redoutable, finit par donner à tous ces drames un poids tragique saisissant. Cette réussite doit aussi beaucoup au dessin hachuré de Blair, qui installe les protagonistes dans cette prison d’eux-mêmes où la fatalité sociale, alliée à la fatalité psychologique, les a enfermés, quoi qu’il en soit, à perpétuité.