L'Obs

Liaison fatale

Adapté de Simenon, tourné en cinq semaines, le film de Mathieu Amalric est d’une précision haletante. Rencontre

- Par Pascal Mérigeau

La Chambre bleue, de Mathieu Amalric, à Cannes (Un certain regard) et dans les salles le 16 mai.

Au début, on pense tenir le coupable, que la police interroge, mais on ignore encore qui est la victime. Julien (Mathieu Amalric) a-t-il tué sa maîtresse, Esther (Stéphanie Cléau), la brune pharmacien­ne de cette petite ville paisible, ou bien Delphine (Léa Drucker), sa blonde épouse ? Le mystère subsiste un temps. Enfin, un temps mesuré, car « la Chambre bleue » est un film bref (1h15), orgueilleu­sement bref. Ce qu’il a toujours été, à différents égards, il n’a même jamais été question qu’il en soit autrement, puisque le projet est né d’une demande faite par le producteur Paulo Branco à Mathieu Amalric. Qui se souvient : « Je m’escrimais depuis deux ans et demis ur une adaptation du “Rouge et le Noir” quand Paulo m’a demandé si je n’avais pas une idée de filmà réaliser en trois semaines. Très vite, j’ai regardé les livres que j’ai chezmoi, en cherchant un pas trop épais, et je suis tombé sur “la Chambre bleue”, depuis des années mon

Simenon préféré, mais que jamais auparavant je n’avais songé à adapter. »

A ce roman, Maurice Pialat avait pensé lui aussi. C’était avant qu’il ne réalise « Police » (1985), ce que bien sûr Amalric n’ignore pas. Il s’est bien gardé de chercher à en savoir davantage mais, ayant revu « Loulou » (1980) et compris ce qui avait pu intéresser Pialat, il a filmé un plan des amants enchevêtré­s sur le lit de la chambre bleue, identique à celui d’Isabelle Huppert et Depardieu dans « Loulou ». Un hommage, un clin d’oeil parmi beaucoup d’autres : c’est en souvenir de Stendhal que le personnage se prénomme Julien, des images de « l’ Atalante » de Jean Vigo apparaisse­nt de manière presque subliminal­e dans le film, avec la musique de Maurice Jaubert, tous éléments dont il importe peu que le spectateur les repère ou non. En revanche, l’enchaîneme­nt des faits, la marche de l’enquête, la mécanique de la justice, tout cela doit être implacable : Amalric et Stéphanie Cléau, sa compagne, ont écrit le scénario avec la conviction que l’erreur à com- mettre serait de ne pas être fidèle à Simenon. Alors, l’architectu­re du récit, les deux temps de l’histoire, tout provient en droite ligne du livre. Et avec l’aide de la police scientifiq­ue, de médecins, de juges, de greffiers, les scénariste­s ont établi un dossier complet de l’affaire criminelle, avec photos, croquis, hypothèses, de sorte qu’à l’écran tout soit imparable.

Ce souci de réalisme, cette volonté de précision ont conduit aussi Amalric à revoir des films d’Alain Resnais, pour tout ce qui avait trait à la conjugaiso­n de différents temps de récit (« Hiroshima mon amour », « Je t’aime, je t’aime »), mais aussi de grands films noirs : « Si j’ai revu les films de Jacques Tourneur, de Fritz Lang, de Howard Hawks, de Preminger, si je les ai montrés à tout lemonde, c’est aussi pour se laver les yeux, pour évacuer toutes les questions liées au cinéma dit d’auteur, dans la mesure où Simenon vous oblige à vous situer toujours au premier degré. Dans mon travail de metteur en scène, je m’appuie beaucoup sur mon expérience d’assistant réalisateu­r et d’assistant monteur, et je ne distingue pas le geste du producteur de celui du réalisateu­r : le budget décide aussi de ce que sera le film. Et puis quoi, il ne faut pas prendre six mois pour filmer un livre écrit en onze jours ! »

Quatre semaines de tournage étaient prévues, un apport d’Arte a permis d’en ajouter une. Le résultat est saisissant. Notamment les scènes d’interrogat­oire dans le bureau du juge (Laurent Poitrenaux), d’une précision haletante, et celles du procès, filmées au palais de justice de Baugé, dont la salle, comme cela se trouve, est précisémen­t tendue de bleu et piquée d’abeilles dorées, semblable en cela à la chambre des amants. La production n’étant pas riche, il a été fait appel aux bonnes volontés locales : « L’hôtelier, la femme de chambre, le médecin du village, entre autres, jouent leur propre rôle. Cen’est pas uniquement une question d’argent : déposer dans un procès n’arrive tout au plus qu’une fois dans une vie, donc tous ceux qui se présentent devant la cour sont des débutants… » Cette vérité-là est aussi celle du film, qui s’impose dès à présent comme une des adaptation­s de Simenon les plus originales et fortes jamais réalisées.

 ??  ?? Mathieu Amalric et Léa Drucker, son épouse à l’écran
Mathieu Amalric et Léa Drucker, son épouse à l’écran

Newspapers in French

Newspapers from France