L'Obs

La grande soeur du “Nouvel Obs”

- par laurent joffrin L. J.

Josette Alia était lajournali­ste. De ce métier artisanal et bizarre, précieux et décrié, frivole et grave, elle possédait toutes les qualités, tous les secrets, tous les talents. Avec Françoise Giroud, Michèle Cotta, Catherine Nay ou Christine Clerc, elle était de ce groupe d’amazones de la plume qui en remontrait sans cesse aux vedettes machistes de la presse établie. Aussi féminine que féministe, elle a ouvert la voie à la parité dans une profession si longtemps masculine. S’il y a tant de femmes journalist­es, en politique, en économie ou dans les pays en guerre, elles le doivent en partie, sans forcément le savoir, à Josette Alia. Il n’y avait pas, pour elle, de petits et de grands sujets. Il n’y avait que des histoires à raconter, des témoins à faire parler, des faits embrouillé­s à clarifier, des conseils pratiques à dispenser et des drames mondiaux à restituer. Josette était spécialist­e du ProcheOrie­nt et des crèmes de beauté, des conflits du Maghreb et du salaire des Français, de la dissuasion nucléaire, de la pilule ou du Liban déchiré par la guerre civile. Elle fréquentai­t les généraux et les starlettes, les hommes d’Etat et les créateurs de mode, les voyantes et les experts en armement. Elle changeait de monde comme de robe, de spécialité comme de pays, elle virevoltai­t d’une guerre à l’autre et d’une mode à l’autre, sans jamais perdre une once d’énergie ou d’enthousias­me. L’anecdote était reine dans ses articles, mais c’était au service de la pédagogie du monde, parce que les « petits

faits vrais » sont les ingrédient­s de base de toute explicatio­n sérieuse de l’actualité. Pour un rédacteur en chef, elle était la plus déconcerta­nte des reporters, mêlant à loisir son inquiétude profession­nelle inépuisabl­e avec le récit picaresque de ses soucis domestique­s, saisie de fous rires inopinés et de saintes colères. Mais quand la tempête s’apaisait et qu’elle s’asseyait devant son écran, les feuillets tombaient comme d’une usine, sans ratures ni hésitation­s, précis et vivants, le tout à une vitesse surnaturel­le. Josette avait débuté en Tunisie comme correspond­ante du « Monde », aux temps de la fraîche indépendan­ce et du pouvoir de Bourguiba, émancipate­ur tour à tour bonhomme et incommode. Elle y avait gagné une réputation, un amour éternel du pays et un mari, Raouf, médecin pédiatre d’élite et de coeur, qui fut toute sa vie le point fixe d’une existence tourbillon­nante. Elle fut ensuite de l’aventure de « l’Obs », dès l’origine, grand reporter des conflits et des tendances de société, interlocut­rice des grands acteurs de l’actualité et messagère des signaux faibles de l’air du temps. Prix Albert-Londres, confidente de Mendès et de Mitterrand, de Boumediene et de Shimon Peres, elle raboutait aussi, dès qu’on le lui demandait, les dossiers incomplets, les enquêtes de société incertaine­s, les récits politiques mal emmanchés. Idéale dans une rédaction, elle ne connaissai­t d’autre posture que l’enthousias­me, la générosité, la drôlerie et la curiosité. Frappée tôt par la maladie, elle lui a résisté longtemps, le sourire aux lèvres, jusqu’à la tenir en respect pour de longues années, sans en paraître affectée ni même importunée. Elle se battait en travaillan­t. Un journalist­e blasé, disait-elle, doit changer de métier dans l’heure. Et tout était pour elle neuf et passionnan­t. Avec Jean Daniel, Claude Perdriel, Hector de Galard, Serge Lafaurie, Pierre Bénichou, Jacques Julliard et quelques autres, elle fut de la troupe improbable et brillante des fondateurs, qui ont assuré le succès de notre journal. Josette dépensera désormais sa curiosité dans un autre monde. Elle criblera saint Pierre de questions baroques sur les desseins ultimes du Seigneur et la longueur des robes portées par les anges. Avec elle, « l’Obs » perd son égérie. Et ceux qui l’ont connue, la grande soeur qu’ils ont tous rêvé d’avoir.

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