L'Obs

La chronique de François Reynaert

- F. R. freynaert@nouvelobs.com

Finissons- en avec les préjugés infondés qui minent la vie démocratiq­ue. Contrairem­ent à ce que prétendent à longueur de colonnes les commentate­urs, il est faux de prétendre que notre classe politique ne fait rien pour tenter d’animer la flamme européenne et faire vivre le scrutin à venir. Pour l’instant, certains, c’est vrai, ont du mal à se mettre en marche. Comme le savent tous ceux qui se souviennen­t du pugilat généralisé auquel on a assisté au moment du référendum de 2005, les socialiste­s sont capables de beaucoup pour faire vivre le débat européen, surtout quand il s’agit de se foutre sur la tête à son propos. Désormais ils le font sur des questions de politique intérieure. On ne peut pas se battre partout à la fois. L’extrême droite vient de décrocher la palme de l’argument le plus surréalist­e pour botter en touche. En avril dernier, Marine Le Pen aura donc réussi à refuser un face-à-face sur France 2 avec Martin Schulz, député allemand et candidat du groupe socialiste à la présidence de la Commission de Bruxelles, car elle refusait de débattre avec quelqu’un qui n’est pas français. Dans le cadre d’une campagne pour des élections au Parlement européen, c’est merveilleu­x. On devrait appeler

Européenne­s, morne campagne. Heureuseme­nt que quelquesun­s se mobilisent pour y mettre du nerf.

ça une « strasbourd­e ». Cela rappelle la forte pensée de Sarah Palin, candidate à la vice-présidence des EtatsUnis, qui n’aimait pas le siège de l’ONU, à New York, parce qu’elle lui reprochait d’abriter trop d’étrangers. Restent, du côté de la droite républicai­ne, des efforts admirables. Comme nos confrères du Lab d’Europe 1, qui ont relevé la phrase, j’ai noté avec bonheur l’argumentai­re par lequel Brice Hortefeux (RTL, 23 avril) entendait mobiliser les foules. On ne peut pas dire que l’Europe est incapable de résoudre les problèmes, déclarait-il en substance, puisque « par décision du Parlement, en2017, ilyaauraun­chargeurun­iverselpou­rtousnos téléphones portables ». Les réseaux sociaux ont ironisé. Dans un continent en proie à une crise économique terrible, ne peut-on penser que les gens ont d’autres angoisses. Quid de la question de la couleur des coques ? Quid de celle du classement des applis sur l’App Store ? En tout cas, cela représente­ra toujours un pas en avant. « L’Europe, quel numéro de téléphone ? », raillait naguère Kissinger. Au moins aurat-elle le même chargeur, c’est un début. Reste le talent de mon préféré, l’irremplaça­ble M. Wauquiez. Lui s’est jeté dans le débat avec un héroïsme rare. « Ayons le couragede ledire, a-t-il déclaré dans “le Point” (10 avril) l’UE nemarchepl­us ! » J’ai adoré la formule. Oser se parer de courage pour aller dans le sens d’une idée toute faite partagée par environ 99% de l’électorat, c’est fort. M. Wauquiez, c’est Jean Moulin, tendance Sofres, un type qui est tellement rebelle qu’il n’hésite même pas à défendre un point de vue, partagé par tout le monde. Toujours est-il qu’il a trouvé la martingale pour tout résoudre. Il faut abandonner les 28 et revenir à l’Europe des 6, comme au début. L’idée n’a rien de neuf, depuis qu’on a dépassé 9, elle réapparaît périodique­ment. Mais il y ajoute l’amendement qui fait tout son sel. Il veut reformer l’Europe des fondateurs, en y remplaçant le Luxembourg par l’Espagne. On ignore ce qu’en pense l’Espagne. A notre connaissan­ce, le génie de M. Wauquiez n’a pas encore passé les Pyrénées. On a entendu le point de vue du Luxembourg, qui était tellement ravi de la propositio­n qu’on s’est demandé s’il n’allait pas nous déclarer la guerre. Et ça, c’est bien. Enfin un débat européen qui a des nerfs et qui nous sort de nos frontières. On ne l’espérait plus.

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