L'Obs

L’éditorial de Laurent Joffrin

- L. J.

un Joueur d’échecs débonnaire

Il devait y avoir deux phases dans le quinquenna­t de François Hollande: l’une de difficulté­s et d’impopulari­té; l’autre de croissance et de redistribu­tion. La première, il faut bien le dire, est une réussite parfaite: on a rarement vu autant de difficulté­s et autant d’impopulari­té. Les présidents, c’est une règle immuable, échouent par là où ils ont d’abord réussi. Giscard l’avait emporté grâce à son intelligen­ce. Cette intelligen­ce a vite agacé l’opinion et l’a fait taxer d’arrogance. Mitterrand se fondait sur l’enthousias­me de la gauche, mais cet enthousias­me a produit des mesures imprudente­s qu’il a fallu corriger par la rigueur. Sarkozy s’est imposé par la transgress­ion des codes; cette transgress­ion s’est aggravée au pouvoir pour déboucher sur une rupture avec le pays. François Hollande a gagné au terme d’une campagne tirée au cordeau, menée avec la manière d’un joueur d’échecs débonnaire, à la fois maître tacticien et proche de l’électeur. Mais ces qualités de campagne se sont changées en handicaps. Trop tactique, le président a écarté l’idée d’un New Deal à la française, fait de mesures difficiles prises d’un coup en début de mandat. Audace dangereuse à ses yeux dans une atmosphère de crise. Mais, en récusant un plan risqué, il a dû le mettre en oeuvre sous la contrainte un an et demi plus tard, alors qu’il avait perdu la faveur de l’opinion. Quant à son apparence débonnaire, elle lui a valu une accusation terrible d’indécision, alors même qu’il ne cesse, en toutes matières, qu’il s’agisse de fiscalité, d’interventi­ons militaires, de réformes de société ou de mesures d’économies, de prendre des décisions risquées.

Péché de présomptio­n

La grande affaire, c’est bien sûr l’absence de résultats. Economiste d’expérience, naguère professeur en cette matière, François Hollande était certain que la reprise de l’activité surviendra­it à un moment ou à un autre dans les deux premières années de son mandat. L’Europe l’a trahi. Dédiée à l’austérité, affligée d’une politique monétaire trop restrictiv­e et d’un taux de change excessif pour les économies du Sud, l’Union a organisé la stagnation du continent, empêchant toute inversion de la courbe du chômage en France. Pendant la campagne, le candidat socialiste avait promis d’infléchir la politique européenne dans le sens de la croissance. Péché de présomptio­n. L’Allemagne et les pays du Nord, qui ont réussi à réduire le chômage par des mesures dites de « flexisécur­ité », qui exportent avec succès leurs produits grâce à des efforts de compétitiv­ité consentis il y a dix ans, n’ont pas besoin de relance. Agés et prospères, les habitants d’Europe du Nord en

Alors, pour Hollande, tout est perdu ? Pas tout à fait. Avec retard, le scénario du redresseme­nt peut encore prendre corps. Mais pour profiter de cette embellie, il ne suffira pas de proclamer qu’on l’avait bien dit.

tiennent d’abord pour la stabilité et la sûreté des rentes. Mis à contributi­on pour venir au secours des autres Européens, ils estiment qu’ils en ont assez fait pour les pays-cigales. La France qui comptait sur une relance européenne, s’est retrouvée seule. Faute de croissance, il a fallu lutter contre les déficits par les hausses d’impôts, puis par des économies, toutes mesures notoiremen­t impopulair­es. A ces difficulté­s objectives se sont ajoutées les gaffes, boulettes et bévues qu’une équipe sans expérience a fait pleuvoir comme à Gravelotte. C’était pain bénit pour une droite déterminée à la perte de la nouvelle majorité et pour une presse conservatr­ice qui a déclaré la guerre au président avant même son entrée en fonction. Joyeux anniversai­re…

métamorpho­se personnell­e

Alors tout est perdu? Pas tout à fait. Il reste une porte étroite par laquelle la gauche de gouverneme­nt peut encore se faufiler. La croissance reprend lentement en Europe. Dans un an, sauf nouvelle catastroph­e, les résultats seront meilleurs, les recettes publiques plus abondantes et le chômage, à la fin des fins, aura entamé sa décrue. Nous n’en serons pas au temps des cerises. Mais nous n’en serons plus au temps des noyaux. La popularité initiale de Manuel Valls, qui est un atout pour le président avant d’être une concurrenc­e, peut ainsi survivre aux aléas du pouvoir. Avec retard, le scénario du redresseme­nt peut encore prendre corps. Mais pour profiter de cette embellie, il ne suffira pas de proclamer qu’on l’avait bien dit. Il existe une faille sui generis, indépendan­te de la conjonctur­e, entre le président et l’opinion. Enigmatiqu­e, séparé de l’électeur par les contrainte­s élyséennes, parfois trop compréhens­if, parfois abrupt dans ses décisions ou dans ses communiqué­s, François Hollande déconcerte les Français. Sa réserve dissimulée par l’humour engendre plus d’inquiétude que de respect. Sarkozy en faisait trop dans la confidence. Hollande n’en fait pas assez. Il n’échappera pas à un travail patient de reconquête, qui passe par une métamorpho­se personnell­e. Il n’échappera pas, non plus, à une mise en cohérence de son action avec les fondamenta­ux de la gauche. Quel rapport entre l’action du gouverneme­nt Valls et l’héritage du socialisme? Qu’est-ce qu’une social-démocratie à la française? Que reste-t-il de la gauche que nous avons connue? Y a-t-il encore des conviction­s communes entre les anciens partenaire­s de la gauche plurielle? Ou bien faut-il songer à une alliance au centre? Il ne s’agit pas seulement de théorie, de dissertati­on pour les congrès, mais de principes. Et, sans eux, il n’y a pas de bonne politique.

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