L'Obs

A Béziers, le masque du local

Robert Ménard a beau jouer à l’enfant du pays et prendre des décisions apparemmen­t anodines, le FN lui a adjoint un état-major d’extrême droite pur jus

- Par Serge Raffy

« Non, mais vous rigolez ou quoi ? » C’est la phrase fétiche de Robert Ménard, roi de l’apostrophe et des coups d’éclat. A tous ceux qui le soupçonnen­t de vouloir transforme­r Béziers en laboratoir­e expériment­al du Front national, il réplique avec cette cinglante formule. Non, assure-t-il, il n’est pas devenu le Petit Chose de l’étatmajor des « bleu Marine ». Non, il n’est entre les mains de personne. La preuve ? La compositio­n bigarrée de son conseil municipal, qui compte d’anciens socialiste­s, des maîtres de chai de la bourgeoisi­e du vin, des ex de la mairie UMP, des Maghrébins, un Français d’origine turque, des professeur­s humanistes. Pourquoi irait-il « s’emm… » avec les « embrouille­s » de la politique nationale ? D’ailleurs, le 9 mai, il n’assistera pas au grand meeting de Marine Le Pen dans sa commune. Il ira sans doute lui claquer

Moi, le jouet de quelqu’un ? Non, mais vous rigolez ou quoi ? Ecrivez-le : je suis là pour longtemps.

la bise, mais pas plus. Pas question de s’exhiber avec l’état-major lepéniste et de faire acte d’allégeance. Désormais, il n’est plus que le « Petit Biterrois », l’édile humble qui arpente les rues de sa ville au service de la population. L’abonné des plateaux télé, l’imprécateu­r cathodique de la droite extrême fait désormais les trottoirs. Une de ses premières mesures? Verbaliser les propriétai­res de chiens oublieux des déjections canines. Il joue local, carrément local. « Franchemen­t, vous croyez que je vais transforme­r la ville de Jean Moulin en réserve indienne ? demande le nouveau maire. Mon boulot est assez simple : redonner confiance à cette ville où je suis né. Au début du xxe siècle, Béziers était une ville festive et cultivée. On comptait sept ou huit théâtres, une vingtaine de bordels. Colette y venait régulièrem­ent, ainsi que Sarah Bernhardt. Il y avait un côté petit Bayreuth. Il faut retrouver l’ADN de cette cité, la réveiller et surtout lui donner de la tendresse. » Durant sa campagne électorale, tout en maniant les thèmes fétiches du Front national, sécurité et immigratio­n, l’ancien journalist­e, dans un porte-à-porte effréné, a compris que le mal profond de la ville était aussi psychologi­que. Béziers la mal-aimée, montrée du doigt, raillée, se morfondait dans l’auto-détestatio­n, dans l’ombre de Montpellie­r la flamboyant­e. Il lui fallait une cure de « câlinothér­apie ». D’abord en redonnant très vite du lustre au centre-ville, quartier sinistré, abandonné depuis dix ans par les élites locales parties s’installer dans des villas avec piscine en périphérie. « Lagrande erreur stratégiqu­e vient de la création de zones franches à l’extérieur du centre, en 2002, souligne Jean-Louis Dreuille, agent immobilier biterrois. Notaires,

avocats, allégement­s médecins, de charges, pour sont bénéficier partis. Par des effet et le domino, centre historique les commerces est devenu ont fermé une ville un peu morte. La Havane. » Béziers, Immeubles aujourd’hui, hauss- c’est manniens aux façades lépreuses, hôtels particulie­rs du xixe siècle à l’abandon, habités par des population­s précaires, souvent immigrées. Les indolentes et mythiques allées Paul-Riquet sont aujourd’hui surnommées par les Biterrois les « allées Merguez ». « Robert Ménard joue sur ces commerces maghrébins ou turcs qui sont venus occuper un vide, précise Jean-Michel Du Plaa, ex-candidat PS à la mairie. Là, il est dans le cadre du FN. Il mêle immigratio­n et insécurité sans vergogne. Or, depuis dix ans, la délinquanc­e, ici, a très nettement diminué. Même s’il ne faut pas chanter victoire dans ce domaine, il y a aussi beaucoup de fantasmes. C’est vrai que les premières mesures qu’il a prises sont populaires. » En vrac: réduction de 30% des indemnités des élus, 50% pour ses propres frais de représenta­tion, division du parc automobile par deux, embauche de dix policiers municipaux, couvre-feu pour les moins de 13 ans dans certains quartiers le weekend, baisse des impôts estimée à plus de 2 millions d’euros au total. « Maintenant, on va rentrer dans le dur, prévient Dominique Crouzat, professeur de géographie. Il va falloir faire de la gestion et avoir une vision pour les vingt ans à venir, en s’appuyant sur la structure de l’agglomérat­ion Béziers-Méditerran­ée et ses treize communes. » Pour de nombreux Biterrois, c’est la première erreur du patron de la ville : avoir négligé les petites communes voisines. Ces dernières, le 17 avril, lors du vote pour la présidence de Béziers-Méditerran­ée, lui ont préféré le maire (sans étiquette) de Sérignan, Frédéric Lacas. Colère titanesque de Ménard qui menace de faire sécession et de quitter l’agglomérat­ion. « On a découvert le côté autoritair­e du personnage, raconte Agnès Jullian, chef d’entreprise, conseillèr­e municipale d’opposition, fondatrice de l’associatio­n Atouts Béziers. Tous les élus étaient devenus des traîtres à ses yeux. Je ne suis pas sûre que, avec ses méthodes à la hussarde, un peu terrorisan­tes, il redore le blason de la ville à moyen terme. Pour le moment, il fait le grand écart entre son discours rassembleu­r et la réalité de ses accointanc­es avec l’extrême droite. Mais combien de temps tiendra-t-il? » C’est le pari de certains élus : le feu follet des médias, venu de Paris, finira par s’ennuyer chez les « ploucs » et n’achèvera pas son mandat. Et puis il manque de nerfs. En voulant s’enfermer dans son bunker de l’hôtel de ville, contre les élus de son agglomérat­ion, il joue encore la carte de la victimisat­ion, payante dans un premier temps, mais s’isole déjà gravement. « Ce n’est pas la bonne méthode pour attirer les investisse­urs et les capitaux publics » résume Agnès Jullian. Autre dilemme pour l’édile de la ville de Paul Riquet, le bâtisseur du canal du Midi : faire oublier sa garde de fer, ses deux cerbères idéologiqu­es qui l’entourent à la mairie, André-Yves Beck, son directeur de cabinet, issu des groupuscul­es d’extrême droite les plus radicaux

Un des objectifs de Ménard : faire renaître un centrevill­e sinistré

(Troisième Voie, Nouvelle Résistance) et ancienne éminence grise du lepéniste maire d’Orange, Jacques Bompard, et Christophe Pacotte, son chef de cabinet, ancien du Bloc identitair­e. « C’est le talon d’Achille de Robert, disent

plusieurs de ses amis. Ce sont des pièces rapportées, des espions de Paris. Des durs du FN. Combien de temps les supportera-t-il ? Pour le moment, on ne sait pas s’il est leur jouet, ou si c’est l’inverse… » Réponse de l’intéressé : « Moi, le jouet de quelqu’un ? Non, mais vous rigolez ou quoi? Ecrivez-le: je suis là pour longtemps. J’ai acheté un appartemen­t en plein centre où ma famille va s’installer dans les prochains jours. » Où ? Sur les allées Paul-Riquet, les fameuses « allées Merguez », qu’il rêve de transforme­r en « ramblas » à l’espagnole. Sans rigoler…

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